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Il en est autrement de la charte de 1814. La charte n’était pas seulement une imitation de la libre constitution d’Angleterre, c’était la reconnaissance des institutions et des garanties que la France avait demandées dans les cahiers de 1789. Quelque étroite que fût la loi électorale, quelque faible que fût l’organisation de la chambre des pairs, la charte n’en établissait pas moins un gouvernement constitutionnel. La nation reprenait possession d’elle-même ; la parole était non plus aux factions, mais à la France. Aussi n’a-t-on pas oublié avec quelle rapidité le pays se releva après vingt ans de guerre et deux invasions. C’est alors que la tribune française, dans tout son éclat, faisait tressaillir l’Europe ; c’est alors que nous avons admiré une floraison du génie français qui sera la gloire du xixe siècle. Pour être modérée, l’opinion, n’en était pas moins puissante ; nous sommes trop heureux d’en revenir aux lois de 1819.

La charte de 1830 ne fut qu’une nouvelle et plus libérale édition de la charte de 1814. Avec elle, tout progrès était facile, toute réforme aisée, si le pays l’avait voulu sérieusement. Après trente-quatre années d’un gouvernement régulier, il semblait que la France eût enfin trouvé la forme politique qui convient à son tempérament et à ses mœurs. Par malheur, l’émeute du 24 février 1848 nous jeta entre les mains d’un parti qui vivait de souvenirs et de rancunes. Il en était encore aux premières théories de Sieyès et aux préjugés jacobins. Ce que rêvaient les vainqueurs, surpris de leur triomphe, c’était une révolution historique et théâtrale. On venait de lire les Girondins de Lamartine, on voulait jouer à nouveau le rôle de Camille Desmoulins, de Vergniaud, et même celui de Robespierre ou de Danton. Il fallait une assemblée unique en 1848 parce qu’il n’y avait qu’une assemblée en 1793. En vain des esprits sensés, des amis de là liberté qui avaient pris la peine d’en étudier les conditions, M. Thiers, M. de Tocqueville, M. Odilon Barrot, répétèrent-ils sur tous les tons que l’établissement de deux chambres était pour la république une question de vie ou de mort, on ne les écouta point. Des logiciens de la force de M. de Cormenin exhumèrent du Moniteur les vieux sophismes que l’expérience avait cruellement réfutés, et une fois encore la foule ignorante leur donna raison : elle avait oublié que de tout temps ; les jacobins ont eu le triste privilège d’étrangler la république. On voulait recommencer la révolution, on ne réussit que trop dans cette restauration chimérique, et on en arriva bien vite au 18 brumaire sans passer par la convention.

Cette leçon a-t-elle corrigé les républicains ? Il est permis d’en douter. Le fanatisme et la passion sont aveugles ; les événemens ne leur disent rien. Je suis convaincu que ces héritiers de Sieyès