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que celle qui permet au mandant de voir de près le mandataire qu’il choisit. On exige encore que le candidat ait au moins trente ans, s’il s’agit du sénat fédéral, et vingt-cinq ans, s’il s’agit d’un sénat particulier. Ce sont là des précautions qui ne sont pas sans valeur : elles ont toutes pour objet de faciliter le triomphe de la modération ; mais le grand principe, la véritable découverte politique, c’est le renouvellement successif et la durée du sénat. Là est le point d’appui qui permet à un gouvernement d’exister et d’agir sans être toujours ébranlé par les flots mouvans de la démocratie. Peut-être cette organisation n’a-t-elle rien qui séduise une imagination française ; mais elle est le fruit de l’expérience ; le temps l’a consacrée. Si les moyens sont petits, les résultats sont grands. C’est la première fois depuis les Romains qu’on voit une démocratie accepter avec joie la direction d’un petit nombre d’hommes choisis parmi les plus capables, et soumettre ses passions au joug de la raison. Nous ferons bien d’aller à l’école de l’Amérique et de nous inspirer de son bon sens.


III.

Établir deux chambres, assurer l’indépendance du pouvoir exécutif, mettre la souveraineté nationale à l’abri des usurpations qui tant de fois l’ont compromise, voilà quelle doit être l’œuvre du législateur ; mais, quand il aura donné au pays une bonne constitution, aura-t-il fondé la république ? Pas encore. Les constitutions ne sont pas des machines qui marchent toutes seules, il y faut le concours de chaque citoyen. Tant vaut le peuple, tant vaut la constitution. Transportées dans l’Amérique espagnole, les institutions des États-Unis n’y ont eu qu’un médiocre succès ; on peut même dire qu’en certains pays elles n’ont été qu’un ferment de désordre et d’anarchie. Il ne suffit pas de décréter la république pour la faire vivre en France, il faut encore donner aux Français les mœurs de la liberté ; ce n’est pas chose facile : c’est œuvre d’éducation plus que de législation, et par malheur, depuis quatre-vingts ans, les événemens, au lieu de nous instruire, nous ont corrompus.

User de la liberté et n’en pas abuser, voilà en deux mots le droit et le devoir du citoyen ; mais en France la majorité n’use pas de la liberté, et les minorités en abusent. On ne doit pas chercher ailleurs la cause de ces convulsions politiques qui nous épuisent, et dont nous ne pouvons pas sortir.

La majorité n’use pas de la liberté. Au lendemain d’une révolution, quand l’incendie fume encore, la société se serre autour du gouvernement. Chacun sent que son intérêt particulier tient à l’in-