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aurons beau rédiger des constitutions admirables, distribuer sagement les trois pouvoirs, nous n’établirons jamais un gouvernement qui dure, nous serons le jouet éternel des factieux. La république ne s’appuie point sur la force, comme font les monarchies ; elle n’est, sous un autre nom, que le règne de la loi, elle n’a que la justice pour se maintenir. Une république où la loi n’est pas respectée est une république morte, une pure anarchie. Ne cherchons pas au loin la cause de nos révolutions incessantes ; ce qui tue la liberté en France, c’est le mépris des lois, c’est l’impunité. La justice est énervée, parce que nous n’avons pas de foi politique, et nous n’avons pas de foi politique, parce que les coups d’état et les coups de main ont détruit dans nos cœurs toute idée de droit. Nous ne sommes jamais sûrs que le crime d’aujourd’hui ne sera pas la vertu de demain. Si la république de 1871 en finit avec une faiblesse coupable, si elle oblige tous les citoyens à plier sous le joug de la loi, elle rassurera les honnêtes gens, et sera bientôt acceptée et soutenue par l’opinion. Ce n’est pas de la république qu’on a peur en France ; on y craint, et non sans raison, ceux qui tant de fois ne se sont servis de ce grand nom que pour le déshonorer.

Au xvie siècle, durant la ligue, la France s’est trouvée dans une situation aussi triste que la nôtre. Envahie par l’étranger, déchirée par des fanatiques, des intrigans et des ambitieux, elle mourait sous les pieds de l’Espagnol et des Guises. C’est alors que d’honnêtes et courageux citoyens formèrent ce qu’on nomma le parti des politiques. Dévoués au pays, ennemis des factions, tolérans en religion, modérés en politique, et par cela même en butte à tous les outrages, ils résolurent de sauver la France en y ranimant l’esprit public, et ils réussirent dans cette entreprise désespérée. Grâce à leur patriotisme, la France reprit possession d’elle-même, et, revenue de ses erreurs, se débarrassa tout ensemble des étrangers et des ligueurs. Un de ces patriotes obscurs, qui n’était ni le moins savant, ni le moins hardi, Pierre Pithou ; écrivant son testament, s’y rendait cette justice, qu’au milieu de la confusion universelle il n’avait jamais songé qu’au pays. Patriam unice dilexi, disait-il. Belle parole qui doit être aujourd’hui la devise de tous les cœurs français. Unissons-nous dans un commun effort pour relever notre chère patrie, oublions ce qui nous divise, et puissions-nous enfin donner à la France ce qu’elle a toujours demandé, ce qu’elle n’a jamais obtenu : un gouvernement libre, des institutions sages et des lois respectées !

Éd. Laboulaye.