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de la guerre de cent ans. C’est pourtant dans cette histoire d’Angleterre, si estimée à Genève, que plusieurs générations de Français ont puisé leurs impressions sur l’histoire de France. C’est là que M. de Sismondi avait formé son jugement sur la France elle-même, et ce jugement chez lui, comme chez les autres réformés de son école et de son temps, était devenu, par respect pour la source où il était pris, une sorte de jugement religieux.

Mme de Staël, ce grand esprit qui a exercé tant d’influence sur son temps, et dont Napoléon commit la faute de méconnaître la puissance, Mme de Staël, dont la passion exaltée nous avait fait une Allemagne dont notre jeunesse a été si facilement éprise, et dont le jugement plus expert de la génération actuelle devra faire justice, commit M. de Sismondi pour mieux apprendre aux Français leur propre histoire, où elle avait elle-même un intérêt, mais dont elle aurait dû attendre plus de vingt volumes péniblement élaborés pour saisir et applaudir le bon moment. L’histoire de France, travaillée au dernier siècle par tant d’esprits systématiques, dont les maîtres de notre temps, les Aug. Thierry, les Mignet, ont eu tant de peine à démêler les rêveries, dut subir l’épreuve d’un système de plus, né dans le cerveau d’un érudit dominé par des préjugés d’un autre genre, sincèrement antipathique à la France, et frotté en outre d’économie politique. Aussi l’esprit français accueillit-il avec froideur l’œuvre de M. de Sismondi, malgré ses mérites incontestables et la protection que lui donnait la grande école libérale émanée de Mme de Staël. Notre littérature historique s’est ainsi enrichie d’une œuvre qu’on ne saurait, à tout prendre, dédaigner, mais réchauffée de Rapin-Thoyras, illuminée par des éclairs de la science sociale moderne, et où nous trouvons une histoire du roi Jean dont l’objectif, comme on dit aujourd’hui, semble avoir été de dégrader la noble figure française du prisonnier de Poitiers, dont les rédacteurs de l’histoire de France, écrite autrefois pour l’école militaire, avaient fait à leur tour une figure des romans de chevalerie. On dirait que M. de Sismondi a pris plaisir à perdre le roi Jean de réputation, jusqu’au point de lui attribuer discrètement des infamies auxquelles nul avant lui n’avait songé, et il a été même dépassé dans cette voie par des historiens d’une autre école, fort estimables d’ailleurs, qui l’ont pris pour guide, et qui, trouvant un roi chevalier déchu de sa renommée, n’ont eu aucun goût pour la lui rendre. Voilà comment, à certains yeux, le roi Jean n’est plus qu’un coupable extravagant, un soldat grossier, un faux monnayeur et quelque chose de pire, comptable devant la postérité de tous les malheurs de la France. L’histoire du xive siècle est à reprendre à l’étude, d’après les sources nouvelles qu’une érudition plus impar-