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requêtes présentées au roi, d’où leur venait leur nom : les rapporteurs vérifiaient si elles devaient être admises ou rejetées. Dans les deux cas, ils soumettaient une décision à l’appréciation du conseil.

Les affaires de la justice civile et administrative étaient du ressort du parlement, cour souveraine, à laquelle ressortissaient le Châtelet, les cours des baillis et divers juges d’exception : il était justiciable lui-même du grand-conseil en des cas rares et douteux. La chambre des comptes connaissait des affaires de finance et du contentieux des impôts. La cour des aides n’existe point encore en 1350 ; la création est postérieure au temps dont nous parlons. Tel était le simple mécanisme du pouvoir royal dans les terres du domaine. Les grands fiefs annexés, tels que le comté de Toulouse et les pays de langue d’oc, avaient un gouvernement presque indépendant. Les bourgeoisies des villes, dont l’émancipation récente avait son principal soutien dans la royauté, lui étaient fort dévouées. La féodalité trahit souvent la cause nationale ; les communes y faillirent rarement, malgré les germes de turbulence qu’y semait l’exemple contagieux des cités flamandes. Aussi la justice du roi rendit-elle peu d’arrêts sévères envers les villes, tandis que la féodalité en reçut fréquemment de rudes coups, dont le spectacle n’était point désagréable aux communes. Elles devaient leur existence à la politique royale ; elles la soutinrent de leurs suffrages, de leur argent, de leurs milices. Même dans leurs écarts, dans leurs aveuglemens après Poitiers, un fonds de fidélité les maintient autour de la dynastie contre la maison de Plantagenet, pour laquelle la plupart des hauts barons avaient bien moins de répugnance que les bourgeois.

En ce temps-là, vers 1352, apparaît sur la scène de l’histoire un personnage étrange et sinistre, qui va jouer un grand rôle dans les calamités du pays ; c’est Charles le Mauvais, comte d’Évreux et roi de Navarre, à l’occasion duquel le roi Jean a été l’objet de nouvelles injustices. Il était arrière-petit-fils de Philippe le Hardi, comme le roi Jean, et de plus sa mère était la fille de Louis le Hutin. L’application de la loi salique à la royauté avait privé sa mère de la couronne, tout comme les enfans de Robert d’Artois, descendans d’une fille de Philippe le Long. Sa naissance en faisait un mécontent, et son caractère en fit un conspirateur. Jean était irritable par accès ; mais d’habitude et d’inclination il était généreux et bienveillant. Les contemporains et Froissart lui-même l’ont nommé le bon roi Jean. Charles de Navarre était doux et loyal par accident, mais de nature méchant, envieux et fourbe. Les peuples de ses domaines lui avaient dès son adolescence infligé le nom de Charles le Mauvais. Toutefois ses penchans détestables étaient couverts et masqués par les plus séduisantes qualités et par une grande