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ment, après Sedan, l’empire et l’assemblée devaient succomber sous l’accumulation des fautes communes qui mettaient en péril la patrie. Il arrive un jour où le flot de l’opinion, soulevé par les événemens, est irrésistible, et ce jour-là aucune force humaine ne pouvait l’arrêter ; mais comment des hommes qui avaient passé vingt ans de leur vie à plaider les grandes causes du droit et de la morale politique, qui n’avaient jamais pu désarmer leur colère, vengeresse du coup d’état, devant les verdicts d’amnistie rendus par le suffrage universel, ni même (les sources du suffrage étant suspectes) devant l’adhésion incontestable de la majorité du pays, comment ces grands agitateurs de la conscience publique, qu’ils ne cessaient d’émouvoir par le spectre du 2 décembre, osèrent-ils prendre devant le pays, juge et témoin de leurs protestations et de leurs combats, la responsabilité de ce fait si grave, l’expulsion d’une assemblée par un tumulte populaire que quelques-uns d’entre eux avaient préparé, qu’ils soulevèrent à l’heure dite, qu’ils guidèrent à travers un apparent désordre, avec un plan et une logique concertée, vers un but marqué d’avance ? Ils savaient bien pourtant qu’il y avait moyen de faire autrement, et, sans prolonger les jours révolus de l’empire, de rendre le pays à lui-même, à lui seul. La voie était ouverte, on a refusé d’y entrer. Ces choses-là sont trop oubliées ; elles se sont perdues dans le bruit et la confusion des événemens. Il faut néanmoins que l’histoire se fasse, et elle se fera. On y apprendra qu’une journée révolutionnaire n’est jamais l’explosion spontanée des sentimens ou des passions populaires, qu’elle n’est que le résultat d’une conspiration qui met en jeu dans un moment opportun ces sentimens ou ces passions. Le peuple s’agite ; deux ou trois habiles le mènent. Le salut du pays, le 4 septembre, la seule chance de son salut se trouvait dans une proposition de M. Thiers, adoptée déjà par la commission, qui déclarait la vacance du pouvoir, et demandait à la chambre de nommer un gouvernement de défense nationale. On donnait ainsi à l’opinion surexcitée une satisfaction légitime, je dirai presque légale, sans laisser le champ libre à l’émeute. La révolution se faisait par un dernier vote, — vote inévitable de la chambre, qui prononçait sa propre abdication, au lieu de se faire signifier brutalement son congé par la foule. C’était une révolution parlementaire, au lieu d’être une émeute de la rue. Que l’on ne réponde pas qu’il était trop tard. La commission était prête à faire son rapport avant que la chambre ne fût envahie sur le signal de quelques-uns de ses membres, pressés d’en finir. Il dépendait de ces meneurs du tumulte d’en suspendre un instant l’invasion. A coup sûr, il dépendait des triomphateurs de cette journée de se réunir à leurs collègues quand le flot de l’invasion fut passé, au lieu de se laisser porter, dans la plus triste des ovations,