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de sa grande âme, où l’on se congratulait entre maires du progrès des mœurs publiques opéré par quarante-huit heures de liberté, et de la renaissance des vertus républicaines, qui n’avaient plus besoin, comme les vertus équivoques de la monarchie, de l’aide d’une police déshonorée pour fleurir sur l’asphalte parisien. Heureusement, pendant que ce torrent de déclamations se répandait sur les affiches blanches qui chaque matin couvraient les murs de Paris, la défense militaire s’organisait avec cette louable activité qui assure les résistances honorables. Nous n’avons pas ici à juger son œuvre. Nous devons nous restreindre à la politique du pouvoir nouveau. Hélas ! que ne se bornait-il à s’abstenir d’administrer ? Mais non ! il avait des idées, deux entre autres qui devaient lui survivre, puisqu’elles portaient en elles la fatalité de la guerre civile : l’armement universel et la solde de la garde nationale. Si les gouvernans du 4 septembre ne prévirent pas les effroyables conséquences de ces deux mesures, leur sagacité n’était pas au niveau de leur ambition. Que si, les prévoyant, comme pouvait le faire le plus humble observateur, ils ne s’abstinrent pas devant cette formidable responsabilité, que faut-il penser d’un patriotisme si facilement satisfait d’ajourner l’orage ? C’était une politique à courte vue que celle qui se félicitait dans ses proclamations d’avoir fait une révolution sans qu’il en coûtât une goutte de sang. Il importe assez peu que le jour même ou le lendemain d’un grand mouvement populaire le sang ne coule pas, si plus tard, par suite des événemens qui se développent, il doit être répandu à flots à travers la cité en ruine. La responsabilité n’en reste pas moins justement attachée à ceux qui ont laissé se développer les causes de conflits, accumulant sans prudence et sans prévision dans un foyer prêt à s’enflammer les matériaux de l’incendie.

Que faisait-on en décrétant l’armement universel ? On remplissait Paris de 300,000 soldats improvisés, trop nombreux peut-être pour la défense effective, inutiles en aussi grand nombre derrière des remparts et des forts inexpugnables, mais devenus maîtres de Paris et du gouvernement dès le moment où ils eurent reçu leurs armes. On mettait la défense et la politique à leur discrétion. En faisant cela, je sais bien que nos gouvernans se montraient logiques. Ils obéissaient aux sommations qu’ils avaient adressées eux-mêmes à la dernière administration du pouvoir expirant ; comme ils prenaient sa place, il fallait s’exécuter de bonne grâce. C’est là un des tours que jouent les révolutions : elles mettent les gouvernemens nouveaux en demeure de remplir le programme des oppositions ; puis, comme on se piquait d’avoir des principes, on invoquait un prétendu axiome, qui veut que le suffrage univer-