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un instant après ce lugubre cauchemar, et cette marche haletante à travers les événemens qui ont rempli la dernière semaine ; elle peut voir ce qui l’attendait, ce que lui ménageaient les stupides furieux qui avaient entrepris de faire de ce grand et infortuné Paris une sorte de bélier de destruction contre la patrie elle-même, contre l’humanité, contre la civilisation. Et tout d’abord notre première pensée doit être pour cette armée qui a fait son devoir avec autant de simplicité virile que d’abnégation, pour tous ces chefs, les Ladmirault, les Cissey, les Vinoy, les Douay, les Clinchant, qui, sous la direction du maréchal de Mac-Mahon, ont conduit leurs soldats avec une énergie mêlée de prudence dans la plus gigantesque opération ; elle doit être aussi notre première pensée, pour ceux qui ont su organiser cette terrible et nécessaire victoire, préparée et achetée par deux mois de patience et d’efforts, qui ont été pour l’opinion deux mois d’anxiétés et d’impatience. On peut voir aujourd’hui, aux obstacles qu’on a dû surmonter, aux difficultés de toute sorte qu’il a fallu vaincre, combien M. Thiers avait raison de n’opposer d’abord à une insurrection qu’il ne pouvait dompter de haute lutte qu’une temporisation prévoyante et féconde, de ne vouloir rien risquer avant d’avoir refait une armée et d’avoir assuré à cette armée d’irrésistibles moyens d’action. Ah ! sans doute les jours ont dû sembler longs à cette ville de Paris si éprouvée, à la France entière, émue d’un tel spectacle ; ils étaient longs pour ceux-là mêmes qui étaient obligés de s’imposer ces lenteurs. Sans doute ces impitoyables nécessités d’un nouveau siège fait par des Français ont pu paraître dures aux Parisiens honnêtes qui venaient à peine d’échapper au bombardement prussien, et les stratégistes ou les politiques de fantaisie ont pu répéter tout haut ou tout bas qu’on n’était réduit à livrer cette épouvantable bataille, à reconquérir Paris pied à pied, que pour être parti trop vite le 18 mars, qu’on avait laissé ainsi à l’insurrection le temps de s’organiser, d’enrégimenter et même de fanatiser une partie de la population. Que pouvait-on faire ?

On oublie bien des choses, on oublie cet état maladif de Paris que nous avons tous vu, et qui permettait tout à l’audace ; on oublie cette surexcitation fiévreuse d’une population désaccoutumée du travail depuis cinq mois et agitée de toutes les passions de la guerre ou de la rue ; on oublie la démoralisation du peu de forces régulières qui nous restaient et la faiblesse inévitable d’un gouvernement naissant en face d’une insurrection secrètement organisée et préparée de longue date. Il est bien permis de le dire aujourd’hui, c’est la nécessité, une douloureuse et irrésistible nécessité qui condamnait le gouvernement à quitter ce champ de bataille de Paris où la garde nationale ne répondait plus à son appel, et où il était exposé à disparaître, laissant l’administration entière du pays à la tyrannie de l’émeute. Ce qu’on a fait était la rançon d’une