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France, le sentiment du devoir a été le même. Ils ont marché comme des hommes qui sentaient qu’ils combattaient pour la patrie, pour son existence, pour son honneur devant le monde. Au milieu de toutes nos misères, nous pouvons du moins avoir cet orgueil, nous devons à ces opérations aussi douloureuses que nécessaires, exécutées avec autant d’héroïsme que de prudence, nous leur devons d’avoir retrouvé nos généraux et nos soldats, notre armée française enfin. « Ah ! qu’un tyran est dur à abattre, » disait-on autrefois aux plus sombres jours de la convention ; — ah ! qu’une ville usurpée est dure à délivrer, pourrait-on dire aujourd’hui : elle a été délivrée cependant à la fin par ces sept jours de combat.

Oui, cette vaillante, cette fidèle armée du droit et de l’honneur a pu arracher Paris à ceux qui l’ont souillé trop longtemps de leur domination ; elle n’a pu le sauver entièrement de la fureur destructive de ces barbares, qui ont cru ne pouvoir mieux couronner leur carrière qu’en laissant partout sur leur passage les traces de leurs cyniques violences, l’incendie, les monumens en ruine, le pillage, le sang des victimes innocentes. Que n’ont-ils pas brûlé ? qui n’auraient-ils pas massacré ? Si intelligens et si rapides qu’aient été leurs mouvemens, nos soldats n’ont pu préserver de l’incendie les Tuileries, l’Hôtel de Ville, le palais du conseil d’état et de la cour des comptes, la chancellerie de la Légion d’honneur, le Palais de Justice, le ministère des finances ; ils n’ont pu empêcher l’exécution de nombre d’otages, de l’archevêque de Paris, du curé de la Madeleine, M. Deguerry, de M. Bonjean, le meurtre des dominicains du collège d’Albert-le-Grand à Arcueil, l’assassinat d’un des hommes les plus inoffensifs, adjoint à la mairie de Paris pendant le premier siège, M. Gustave Chaudey. Et encore auraient-ils mieux fait, si on leur en eût laissé le temps, ces sinistres coquins qui ont eu l’infamie d’associer des femmes et des enfans à leur œuvre de destruction. Tandis que le châtiment s’avançait sur eux sous la figure de notre armée, ils en étaient ce dimanche-là à donner des concerts, à se procurer de la joie, ils ont été surpris ! Ils n’ont pas eu le loisir d’achever leurs préparatifs pour faire sauter tout Paris, d’assouvir leurs vengeances sur les choses et sur les hommes. Ils avaient rêvé mieux que cela, un vaste embrasement où tout pouvait disparaître, et ils auraient fait sûrement de leur rêve une réalité, si nos soldats, sans pouvoir tout sauver, n’étaient cependant arrivés encore à temps pour leur arracher cette noble proie ensanglantée, pour leur disputer la vie de quelques-uns de ces otages menacés par les sicaires, pour préserver quelques monumens, la Bibliothèque nationale, la Sainte-Chapelle, l’Institut, menacés par les incendiaires, — pour les replonger eux-mêmes dans le néant d’où ils n’auraient jamais dû sortir.