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c’est notre horreur durant ces nuits où l’on croyait voir au travers des flammes de l’incendie colossal une ronde de démons promenant la destruction dans notre malheureuse cité, acharnés surtout à ce qui en faisait la parure et l’honneur. Ils ont brûlé le palais des rois, bien qu’ils y eussent donné des fêtes grossières en disant au peuple souverain : Tu es chez toi ! Ils n’ont pas épargné davantage le palais populaire qui fut le théâtre de leur orgie démagogique. Nulle maison particulière, pauvre ou riche, n’eût trouvé grâce devant leurs fureurs. Si les trésors de l’art et des lettres ont échappé, c’est malgré eux, car ils eussent brûlé, s’ils l’avaient pu, l’esprit humain lui-même. C’est par une distraction du crime que la flèche aérienne de la Sainte-Chapelle s’élève du milieu des ruines fumantes comme une immortelle pensée du sein de la destruction matérielle. Il faudrait le pinceau de l’Apocalypse pour représenter de telles scènes, qui rappellent la chute des Ninive et des Babylone. La raison se trouble devant elles ; elles sont dans l’histoire ce que furent dans la nature les convulsions de la terre avant une nouvelle époque géologique. Nous savons maintenant ce que le socialisme porte dans ses flancs. On croit voir les géans du chaos moderne entasser les débris fumans les uns sur les autres. Il y a eu un moment où Paris semblait une ville maudite sous le dôme enflammé qui la couvrait, sous la menace de nouveaux crimes et de nouveaux malheurs, tandis que l’obus continuait à déchirer ses toits. Après ces nuits sinistres sont venus des jours plus tristes encore où, dans nos rues jonchées de cadavres, traversées par des milliers de prisonniers, un autre incendie s’est allumé dans les cœurs, celui de la terreur devenue furieuse, où la lie monte du cœur humain, où la lâcheté pousse à la cruauté, et, non contente de la justice implacable, réclame la vengeance sommaire. C’est l’heure sombre où tous les oiseaux de ténèbres maudissent la liberté ; mais c’est aussi l’heure grave, solennelle, vraiment décisive, où une nation, mise en face de tous les maux qui la dévorent, doit s’interroger, faire son examen de conscience, chercher la part de toutes les responsabilités dans une catastrophe qui n’accuse pas seulement ses fauteurs directs. L’antique sibylle que Rome ne voulut pas entendre vient à nous sous la forme de cette immense infortune. Elle nous présente son suprême avertissement ; c’est peut-être la dernière page du livre salutaire, c’est cette page que je voudrais faire lire à mon pays en dégageant la leçon qui ressort de ces événemens pour la démocratie moderne.

Edmond de Pressensé.