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nous enlever nos plus belles provinces est venue : en vain chercherait-on dans toute l’histoire d’Alsace, en ces jouira douloureux, les traces d’une seule tentative pour rentrer dans cette famille germanique à laquelle nous l’avons, dit-on, ravie par la force. L’affection de l’Alsace pour la France durant tout le xviie siècle nous explique assez pourquoi elle a été si française durant la guerre de la succession d’Autriche, et plus tard pendant cette lutte de sept années que nous avons soutenue, souvent avec si peu de succès contre Frédéric II. Je n’ai pas non plus à chercher pour quelle cause cette province, longtemps habituée à l’exercice des libertés municipales, et qui de bonne heure avait salué dans la réforme l’affranchissement de la conscience religieuse, embrassa avec une si vive ardeur les principes de la révolution. En 1789, l’Alsace a des raisons trop puissantes de ne plus regretter le lien qui l’unissait autrefois à l’Allemagne féodale. Ni les armées de la Prusse, ni celles de l’Autriche ne peuvent l’enlever à l’enthousiasme qui l’entraîne avec nous dans une vie nouvelle de liberté et de progrès. La France est réduite à vingt-sept départemens, le parti girondin cherche à réveiller les vieux souvenirs d’autonomie provinciale ; l’Alsace n’écoute ni les fédéraux français, ni les princes allemands. Par-delà les malheurs présens, elle, voit les belles espérances qui nous soutiennent, elle sait ce qu’était ce passé avec lequel la France a rompu. Ce que je veux seulement remarquer, c’est l’attachement de l’Alsace à la vieille monarchie ; aucune province n’a été plus fidèle dès le premier jour à notre unité nationale. Il y a là un fait que la critique allemande la plus passionnée ne peut essayer de mettre en doute, un fait qu’elle n’a pas le droit de passer sous silence. Une vérité aussi évidente doit avoir des raisons simples ; pour les comprendre, il suffit de s’arrêter un instant aux caractères généraux de l’histoire d’Alsace.

Contrairement à l’Allemagne, l’Alsace presque tout entière avait été de bonne heure romanisée. Germaine par le sang, gallo-romaine pas les habitudes, la culture intellectuelle et religieuse, jusqu’au IXe siècle elle partagea les destinées des anciennes provinces de la Gaule. À cette époque, les traités l’attribuèrent tantôt à la France, tantôt à l’Allemagne, et plusieurs fois à des états intermédiaires qui cherchèrent à se former entre ces deux grandes nations naissantes. Au Xe siècle, elle parut réunie pour longtemps à l’empire germanique. Depuis cette date jusqu’à la paix de Westphalie, c’est-à-dire durant environ six cents ans, son histoire est dominée par une tendance unique : l’Alsace s’isole de l’empire, se sépare de l’Allemagne. Trop éloignée pour être sérieusement protégée par l’empereur, il faut qu’elle songe elle-même à sa propre sécurité. C’est l’origine des nombreuses villes libres qui font alors reconnaître leur indé-