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presque plus, dans le cœur et l’imagination du peuple, trace de ce sentiment qui avait tant d’empire sur l’âme des Athéniens et des Romains, qui est si puissant encore chez nos voisins d’Angleterre. Quelles que soient les raisons de cette différence, il y a certainement pour nous dans cette ingratitude envers nos pères, dans ce dédain des générations dont nous sommes bon gré mal gré les héritiers, une cause réelle d’infériorité, de faiblesse, de perpétuelle instabilité. Ce qui fait défaut au navire, c’est le lest, ce sont les ancres ; il ne peut ni tenir longtemps la mer, ni, quand souffle le vent, rester mouillé à l’abri de l’orage.

Andocide a eu soin de rappeler lui-même les services que sa famille avait rendus à Athènes. Son bisaïeul avait joué un rôle brillant dans les luttes que soutint une portion de l’aristocratie, d’abord pour empêcher Pisistrate de s’emparer du pouvoir, et plus tard pour renverser Hippias, puis pour défendre contre le tyran exilé et ses partisans la liberté reconquise. Son grand-père, qui, comme lui, s’appelait Andocide, fit partie de l’ambassade envoyée aux Lacédémoniens en 445 pour conclure la trêve de trente ans ; il eut aussi dans la guerre de Corcyre, à ce qu’il semble, un commandement militaire. Quant au père de l’orateur, Léogoras, il ne paraît guère avoir été connu que par son luxe et ses débauches. Les faisans qu’il élevait dans sa volière avaient fait sensation à Athènes ; c’était sans doute la première fois que l’on y voyait ces oiseaux exotiques. Ses soupers étaient célèbres, et les gourmets d’Athènes en gardèrent longtemps la mémoire.

Andocide avait trouvé dans la maison paternelle, avec une fortune peut-être ébréchée par les profusions de Léogoras, des souvenirs qui devaient à la fois éveiller chez lui l’ambition politique et le désigner à l’attention du peuple athénien. Sur son éducation, nous n’avons aucun détail. Ce fut à peu près celle que reçurent vers le même temps les Alcibiade, les Critias, les Théramène, tous ces jeunes gens des premières familles qui, à peine sortis de l’adolescence, sentaient naître en eux des appétits de richesse et de pouvoir. Comme eux, Andocide dut fréquenter les sophistes et les rhéteurs, écouter Gorgias, Protagoras, Prodicos, peut-être s’exercer à la composition et au discours judiciaire sous la direction d’Antiphon. Il n’est point cité parmi ceux qui fréquentaient Socrate.

De sa jeunesse, la seule trace qui nous reste a été conservée dans un fragment d’un de ses discours perdus[1]. Il y rappelait les premiers temps de la guerre du Péloponèse, le douloureux spectacle

  1. Fragment 5. C’est par erreur sans doute que Ch. Muller a placé ce fragment parmi ceux du discours πρὸς τοὺς έταίρους. Rien dans la citation qu’en fait Suidas ne nous indique à quel ouvrage il appartenait