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italienne et la réforme de Luther, tant que le dogme catholique ne fut pas mis en question, le clergé ne s’alarma pas de parodies comme la fameuse Messe de l’âne, et ne s’inquiéta point des libertés que la muse populaire prenait souvent avec certains personnages des livres sacrés, libertés qui aujourd’hui paraîtraient excessives. Pour revenir à la pièce d’Aristophane, les spectateurs, pendant la représentation des Grenouilles, s’amusaient sans aucun remords des burlesques terreurs de Bacchus, déguisé en Hercule, et appelant au secours son prêtre, qu’il voit en face de lui assis à l’orchestre. « Sauve-moi, lui crie-t-il, nous boirons ensemble. » Quelques instans après, dans la même pièce, le beau chœur des initiés, chantant Iacchos et Cérès, rappelait à tous ceux qui avaient été admis dans le sanctuaire d’Eleusis les nobles émotions qu’ils y avaient éprouvées, et réveillait dans leur âme le sentiment religieux. Les représentations comiques étaient une sorte de carnaval qui durait quelques heures dans l’année ; c’était comme une ardente et courte orgie où l’homme, échappant au joug de toutes les conventions sociales, de toutes les contraintes, de tous les respects imposés par l’éducation, les mœurs et les lois, satisfaisait ce besoin de joie bruyante et presque animale que nous sentons tous à certains momens au dedans de nous-mêmes. Le peuple riait alors de ses vices et de ses instincts naturels les plus grossiers, qu’il se plaisait à voir étalés devant lui avec une impudeur naïve ; il riait de sa majesté et de son propre pouvoir, dont il était d’ordinaire si jaloux ; il riait de ses dieux, il se saturait pour plusieurs mois de gaîté et de folie ; puis tout rentrait dans l’ordre, les fumées de cette légère ivresse se dissipaient en laissant l’esprit plus alerte et plus dispos, au lieu de l’alourdir comme celles du vin : le citoyen redevenait ce qu’il était la veille, reprenait tous ses préjugés, toutes ses habitudes, toutes ses croyances. Alors il ne faisait pas bon paraître insulter, dédaigner les dieux de la patrie, et railler les pratiques de leur culte. C’était une idée profondément gravée dans presque toutes les intelligences, à Athènes plus encore que chez les autres peuples anciens, que toute cité qui ne punissait point un acte d’impiété commis dans son sein en devenait par là même complice, et s’exposait ainsi à un châtiment immédiat, et terrible. Ce que l’on appela sous la restauration la loi du sacrilège, cette loi qui a succombé sous les invincibles répugnances de l’esprit moderne et sous le vote de la chambre haute, eût paru aux Athéniens ne pécher que par un incroyable excès de douceur. La plus redoutable des accusations à Athènes, c’était celle d’impiété ; le crime pour lequel les lois réservaient leurs plus extrêmes rigueurs, c’était le sacrilège.

Telle étant la disposition générale des esprits, le peuple ne pou-