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on plaça des têtes de poètes, de philosophes, d’empereurs. Le parc de Versailles nous montre dans les marbres dont sont ornées ses allées de beaux exemples du parti que la sculpture décorative peut tirer de ce motif ; mais à Athènes les Hermès, tous semblables les uns aux autres, reproduisant un type consacré, étaient autre chose qu’un ornement de la ville et de ses places : il s’y attachait un sentiment, un respect religieux qui avait ses racines dans la plus profonde, dans la plus ancienne couche des croyances communes à toute la race aryenne. M. Max Muller[1] a signalé les rapports qui semblent exister entre l’Hermès grec et ce Sâramêya qui est appelé, dans un des hymnes du Rig-Véda, le « gardien de la maison, » et auquel le poète indien adresse cette prière : « Aboie au larron, Sâramêya, aboie au brigand, ô toi qui veilles toujours ! » En tout cas, dans la mythologie grecque, un des plus importans caractères de la multiple figure d’Hermès, c’est qu’il est le protecteur des enclos et des troupeaux qu’ils renferment, de la maison qui en occupe le centre ; il sait où sont les cachettes auxquelles les hommes d’autrefois ont confié des trésors, il les soustrait aux regards indiscrets, et les fait découvrir à ceux qui par leur piété ont mérité cette faveur. C’est donc un dieu de la propriété, qui tient de près au Zeus Herkeios, Jupiter défenseur des clôtures, dont le nom a peut-être la même étymologie, mais dont le culte certainement répond à la même idée et au même besoin. Les bornes qui séparaient les héritages, placées sous la garde d’Hermès, furent d’abord des troncs d’arbre, ou des pierres brutes, ce que restèrent toujours les termes des Romains ; mais chez les Hellènes, lorsque les arts furent nés, que le ciseau de l’ouvrier sut tailler le marbre, on sculpta au sommet de la borne, sinon dans les champs, au moins dans les villages et les villes, partout où l’on pouvait y mettre quelque luxe, la tête même et les attributs du dieu. Ces lourds blocs, avec leur base profondément enterrée dans le sol, et le buste qui les terminait, représentaient ainsi l’éternité du droit que la famille, la commune, la cité, avaient sur la terre et sur les édifices publics ou privés qu’elle supportait. Les hermès, sous cette forme, qui tout à la fois exprimait une antique croyance et offrait à l’œil un motif heureux, se multiplièrent donc à Athènes ; il y en avait devant les temples, au croisement des chemins, dans les carrefours, devant beaucoup de maisons.

Or un matin, vers la fin du mois de mai 415, en sortant de leurs

  1. Nouvelles leçons sur la science du langage, traduction de MM. Harris et G. Perrot, t. II, p. 217-220. Voyez au même endroit une note de M. Michel Bréal sur les différens mots grecs qui, par leur étymologie et par leur sens, peuvent se rapprocher du nom d’Hermès.