Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discussions publiques pendant lesquels chacun avait pu juger à l’œuvre les hommes d’état rivaux, six mille suffrages exprimés au scrutin secret et réunis sur le nom de celui qu’il s’agissait d’inviter à partir pour rendre le repos au pays.

On sait comment les choses tournèrent en 416. Nicias, Alcibiade et Phæax n’avaient pas plus envie l’un que l’autre de quitter Athènes, et chacun d’eux pouvait voir la chance tourner contre lui. Quand le peuple, fatigué de ces luttes, eut résolu de procéder à un vote d’ostracisme, quand le jour en fut fixé, au dernier moment, les trois ennemis se rapprochèrent et se concertèrent. Il se conclut là une de ces ententes passagères comme il s’en établit souvent dans nos chambres, à l’effet de soutenir ou de renverser un cabinet ; c’est ce que nous appelons dans notre langue parlementaire une coalition. Chacun des chefs donna le mot à ses adhérens ; on convint de détourner le coup sur la tête d’un démagogue de bas étage, le lampiste Hyperbolos, orateur violent et grossier, qui de notre temps aurait siégé dans la commune de Paris. Ceux mêmes qui n’étaient point parmi les affidés trouvèrent l’idée spirituelle et le tour ingénieux ; ils suivirent l’impulsion donnée, et plus de six mille suffrages envoyèrent Hyperbolos en exil. Dès le lendemain, le peuple regrettait son vote. Il s’apercevait qu’Alcibiade, Phæax et Nicias s’étaient joués de lui ; il rougissait d’avoir employé contre un drôle qu’il méprisait tout en l’écoutant parfois une arme qui n’avait frappé jusque-là que les premiers citoyens d’Athènes, un Aristide, un Cimon, un Thucydide l’ancien, le rival souvent heureux de Périclès. À partir de ce jour, comme déshonoré par cette erreur, l’ostracisme tomba en désuétude.

Le discours attribué à Andocide a pour objet de déterminer ceux qui l’écoutent à écrire le nom d’Alcibiade sur ces tessons ou coquillages (όστραχα) qui servaient au vote ; c’est une longue invective contre ce personnage. Dans l’exorde, l’orateur se présente lui-même comme l’un des trois hommes politiques, avec Alcibiade et Nicias, sur lesquels peut tomber la sentence d’exil. Or Andocide n’était pas alors compromis dans ce débat ; c’était, Thucydide nous l’atteste, entre Alcibiade, Nicias ou Phæax que le peuple, croyait-on, aurait à choisir. Puisque ce n’est pas Nicias qui parle, et que le discours est dirigé contre Alcibiade, il doit, a-t-on dit, être de Phæax, et dès l’antiquité cette opinion a trouvé des défenseurs. Elle ne soutient pourtant pas plus l’examen que l’assertion de l’éditeur alexandrin attribuant cette harangue à Andocide. L’ouvrage contient de nombreuses erreurs de faits et de dates, erreurs que n’aurait certes point commises un contemporain.

Ce discours paraît avoir été composé dans un temps où l’ostracisme était passé de mode, où, à part certains érudits comme Phi-