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s’appliquait alors impitoyablement et méthodiquement à dépouiller les villes et les campagnes de France. Les arrivages incessans de ces pilleries réjouissaient le peuple de Londres, et rendaient plus facile l’obtention des subsides du parlement. Joignez-y les rançons qui enrichissaient les gens de guerre, et vous aurez l’idée complète des satisfactions que le peuple anglais retirait de la guerre, et de la ruine qui affligeait la France dans sa lutte désespérée avec l’Angleterre.

Tel était le dénoûment de cette campagne de Poitiers, ouverte par des succès et close par une journée fatale dont les détails nous sont encore imparfaitement connus, par les relations étrangères seulement, à défaut des relations françaises, si succinctes qu’on les dirait un écho lointain de la rumeur publique, dépourvues d’ailleurs d’autorité compétente. Le roi Jean y fit merveille d’armes, mais n’y sauva que son honneur. La nouvelle en tomba comme la foudre dans Paris, adonné aux plaisirs, agité cependant d’une certaine émotion par la dernière session des états-généraux : les subsides et les secours en hommes pour la guerre n’y avaient pas été votés sans quelque résistance de la part des bourgeois de Paris, des communes et du clergé lui-même, où couvaient au sein des institutions monastiques des germes d’opposition politique et de réforme sociale, témoin le continuateur audacieux de Guillaume de Nangis, et l’évêque de Laon, Robert Le Coq. La féodalité avait la direction des affaires : elle fut accusée du malheur général ; elle avait été lâche et traître, mais la clameur était vague et dépourvue de griefs précis, sauf celui de la dissipation, qui était le crime de tout le monde. Le courant accusateur avait toutefois une force qu’on ne saurait méconnaître.

Était-ce donc à dire que la France du xiiie siècle fût déchue au xive de sa puissance et de sa grandeur ? était-ce à dire que l’Angleterre eût définitivement conquis à Crécy et à Poitiers une supériorité politique ? Non ; les contemporains ne l’ont pas même soupçonné, ni Edouard III, ni Froissart, ni la cour d’Avignon. Le tempérament national de l’Angleterre était déjà mieux formé peut-être que celui de la France ; mais ses finances et son état social n’étaient point dans de meilleures conditions, et la société française valait bien calle de la cour d’Edouard III. Henri V, le conquérant d’une grande partie de la France sous Charles VI, était obligé chaque année de mettre en gage ses bijoux et sa couronne pour entrer en campagne ; les actes sont imprimés dans Rymer. Chandos était un capitaine vaillant et sensé, il n’avait pas son pareil, il est vrai, dans l’armée du roi Jean ; mais il ne saurait être reconnu comme un chef de. guerre du premier ordre. Un document, récemment publié nous le