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et le patriotisme leur faisait un devoir d’être crédules ou de le paraître. Varron trouvait qu’après tout cette habitude qu’avaient les villes de mettre dans le ciel leurs fondateurs, quoi qu’on en pensât, pouvait avoir des conséquences heureuses, et qu’il n’était pas mauvais qu’un homme de cœur se crût issu des dieux.

Les nations de l’Orient allèrent plus loin ; il ne leur suffit pas de réserver les honneurs divins à leurs anciens héros, elles les accordèrent indistinctement à tous leurs rois. Le caractère religieux qu’avait chez elles l’autorité souveraine, l’isolement dans lequel les princes affrétaient de vivre, loin des regards de leurs sujets, le respect absolu qu’ils exigeaient d’eux, l’effroi qu’ils tenaient à leur inspirer, amenèrent insensiblement le peuple à faire de l’apothéose comme une prérogative essentielle de leur pouvoir. On n’attendait même pas leur mort pour les adorer, et leur divinité commençait de leur vivant. En Égypte, le Pharaon s’appelle lui-même « le dieu bon et le dieu grand : » l’acte religieux de son couronnement le transforme en fils du soleil. Dans le temple de Medinet-Habou, Amoun, s’adressant aux dieux du nord et du midi, leur dit à propos de Rhamsès le Grand : « C’est mon fils, le seigneur des années. Je l’ai élevé de mes propres bras, je l’ai engendré de mes membres divins. » Les Ptolémées n’eurent garde de laisser perdre cette partie de l’héritage des Pharaons ; ils organisèrent solennellement dans leur capitale le culte de tous les princes qui avaient gouverné l’Égypte depuis Alexandre. Le roi régnant, majeur ou mineur, aussitôt qu’il avait succédé à son père, était tenu pour dieu comme les autres et associé aux hommages que recevaient ses prédécesseurs. C’est ce que nous apprend la célèbre inscription de Rosette. Les prêtres réunis de toutes les parties de l’Égypte pour le couronnement de Ptolémée Épiphane y déclarent « qu’il est dieu, fils d’un dieu et d’une déesse, comme Horus, le fils d’Isis et d’Osiris, qui vengea son père. » En conséquence, « on lui dressera une image en chaque temple dans le lieu le plus apparent, et auprès d’elle les prêtres feront trois fois par jour le service religieux ; on lui élèvera dans tous les sanctuaires une statue de bois dans un édicule ou petite niche dorée, et, lors des grandes processions où se fait la sortie des édicules, celui du dieu Épiphane sortira comme les autres. » Ils veulent bien permettre à chaque particulier d’avoir chez lui de ces édicules et de ces statues, mais à la condition d’accomplir toutes les cérémonies prescrites dans les fêtes qui ont lieu tous les mois et tous les ans. »

Les Grecs n’échappèrent pas à la contagion de l’Orient. Dès l’époque de la guerre du Péloponèse, le Spartiate Lysandre, vainqueur des Athéniens, s’était fait adorer en Asie-Mineure. Quand la Grèce eut perdu sa liberté, tous les tyrans qui l’asservirent reçurent