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sement tous les germes de division que la royauté féodale n’avait pu étouffer sur le territoire français, surtout au moment d’une crise dynastique. L’alliance de la Flandre lui donna un auxiliaire utile dont le contingent armé, joint à la bonne infanterie que lui fournissait l’Angleterre, lui servit à composer une armée forte et aguerrie, pour le commandement de laquelle il trouva sous sa main deux hommes rares, l’un irrésistible à l’entraînement, le Prince Noir, l’autre consommé dans le conseil, Jean Chandos. Ces trois hommes décidèrent en faveur de l’Angleterre un de ces courans formidables de succès devant lesquels tout cède à certains momens. Ce courant mena la France à Brétigny ; mais le droit, l’intérêt français, les sympathies nationales, la force naturelle des choses, ne changèrent pas quoique comprimés. Charles V en dégagea le ressort. À sa voix, la France retrouva la confiance qu’elle avait perdue. Le sage monarque réorganisa une armée, comme il avait reformé son administration ; il avait manqué à la chevalerie française un homme de guerre et d’autorité pour la discipliner et la conduire. Charles V lui donna ce capitaine qu’il eut le mérite de distinguer, de produire, et d’investir d’une confiance absolue : cet homme fut Duguesclin. La supériorité de l’Angleterre avait tenu à trois hommes ; ces trois hommes passèrent avec le temps. L’abaissement de la France avait tenu peut-être à l’absence d’un homme : cet homme était trouvé. En 1369-1370, Duguesclin, secondé par les populations insurgées, reprenait la Guienne, le Poitou, où périssait Chandos, la Saintonge, le Rouergue, le Périgord, une partie du Limousin. La France recouvrait le Ponthieu. Le Prince Noir succombait en 1376, et la mort d’Edouard III en 1378, livrait presque toutes les conquêtes anglaises à ce roi peu guerrier de sa personne, mais qui dirigeait très bien la guerre, dont il disait avec esprit : qu’il n’y eut onques roi qui si peu s’armast et qui lui donnât tant a faire, et sur lequel Christine de Pisan a écrit ce chapitre : comment le roy par son bon sens moult conquestoit non obstant n’y alast. Il mourut en 1380, à l’âge de 44 ans, et la réparation était accomplie. Il ne restait que Calais et Bordeaux de l’occupation anglaise. Les événemens qui, sous le règne de Charles VI, ont remis les destinées de l’état en danger, et ouvert une période nouvelle de la guerre de cent ans, tiennent à des causes qui se détachent du traité de Brétigny. Si les troubles de cette déplorable minorité, si la folie lamentable du prince et une odieuse guerre civile ont mis alors de nouveau la France à la merci de l’Angleterre, la gloire de Charles V n’en est pas moins grande, et la reconnaissance nationale lui reste acquise pour avoir vengé l’humiliation du traité de Brétigny.

Ch. Giraud, de l’Institut.