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Il se livra à un exercice musculaire intense, mal fait pour occuper l’esprit : bêcher un jardin, monter du bois. Le troisième jour fut donné tout entier à des travaux de l’esprit, des problèmes de géométrie analytiques et la lecture d’un traité de physiologie. Le quatrième jour enfin et le dernier fut consacré à un repos absolu dans le silence et l’obscurité. M. Byasson put s’assurer par des analyses précises que le travail d’esprit du troisième jour s’était traduit par une dépense plus grande qu’avait faite l’économie de certains principes salins différent de ceux que rejette le corps après un exercice musculaire ou le repos absolu. Il se crut donc en droit de conclure que ces principes salins avaient leur origine dans les réactions chimiques dont la substance nerveuse est le siège quand elle fonctionne.

Est-ce à dire que la biologie moderne, qui serre de si près, comme on le voit, les actes nerveux les plus intimes, nous donnera un jour quelconque l’explication des fonctions cérébrales par les simples lois physiques ou chimiques qui régissent les corps non organisés ? Nullement, et nous voudrions accentuer de toutes nos forces cette négation ; il faut qu’on le sache bien, qu’on se pénètre bien de ceci. La physiologie pourra faire toutes les découvertes imaginables sur les rapports, la succession, la durée des actes intellectuels ; elle ne saurait même avoir une opinion sur l’essence de ces actes. Elle les rattache à une propriété spéciale de la substance nerveuse vivante. Elle constate l’existence de cette propriété, et en étudie les effets dans la mesure où ils se manifestent à nous, voilà tout. Chaque tissu dont est composé notre corps a ainsi des propriétés qui lui sont propres tout aussi inexplicables. Un muscle vivant se raccourcit quand il est influencé par un nerf, par l’étincelle électrique. Nous appelons contractilité cette propriété qu’il a, mais nous ne savons d’elle, nous n’étudions d’elle que les effets. Nous appelons élasticité la propriété en vertu de laquelle une bille d’ivoire déformée en tombant sur un marbre reprend violemment la forme sphérique ; mais ni dans un cas, ni dans l’autre, les noms que nous donnons aux propriétés des corps n’en définissent la nature, et, si notre ignorance en cela pouvait avoir des degrés, les propriétés que nous ; reconnaissons aux corps vivans seraient plus obscures que celles qu’ils partagent avec les corps bruts.

C’est faute d’avoir fait cette distinction nette entre les propriétés communes à tous les corps sans exception, telles que l’étendue, la couleur, l’électricité, et les propriétés spéciales1 aux substances vivantes, telles que la contractilité, la nutrition, la propriété de croître et de se reproduire, qu’on a fait aux biologistes le reproche immérité de chercher dans les lois de la matière brute l’explication de la vie,