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souveraine, que cette assemblée n’aliène point sa souveraineté, que, même en conférant une présidence de deux ans à M. Thiers, elle ne prend pas l’engagement de s’abstenir, dans six mois comme dans un an, de tout vote que le chef du pouvoir exécutif pourrait ne point vouloir accepter, ou qui rendrait sa situation impossible, de sorte qu’on ne saisit peut-être qu’une ombre de définitif en croyant saisir une réalité. Mieux vaut encore ne point se faire de ces illusions ; accepter dans impatience un état qui n’est point après tout plus extraordinaire que les circonstances mêmes, puisque c’est la souveraineté permanente et active de la France se manifestant par l’accord toujours renouvelé, incessamment entretenu d’une assemblée et d’un pouvoir exécutif qui s’inspirent d’une pensée identique. Ce n’est ni la monarchie, ni la république, soit ; c’est mieux encore, c’est la France : nous sommes pour le moment l’état français, ou, pour mieux dire, nous restons et nous resterons la nation française. Qu’y a-t-il donc de si étonnant et de si alarmant dans cette situation qui demeure placée sous la sauvegarde d’un sentiment commun des nécessités publiques, et dont la durée peut être proportionnée à ces nécessités mêmes ? Dans ces conditions telles qu’elles se présentent l’assemblée n’est nullement disposée à énerver les pouvoirs qu’elle a mis dans les mains de M. Thiers, et de son côté M. Thiers ne nourrit assurément pas la pensée de rompre avec l’assemblée, de suivre tout à coup une politique qui le mettrait en lutte avec la représentation nationale. La durée de la présidence de M. Thiers se prolongera peut-être d’autant plus qu’on aura moins songé à la fixer. Le chef du pouvoir exécutif sait de longue date comment on marche avec une assemblée, et les changemens qu’il vient de faire dans le gouvernement montrent bien qu’il s’en préoccupe. Le successeur de M. Ernest Picard, qui a réussi à être le plus infortuné des ministres de l’intérieur, M. Lambrecht, est nm homme instruit, d’un esprit aussi juste que modéré. Le nouveau ministre du commerce, M. Victor Lefranc, a su, par sa généreuse et patriotique éloquence, s’assurer les sympathies de l’assemblée. Le général de Cissey, qui remplace le général Le Flo au ministère de la guerre et qui commandait récemment à Paris, passe pour un de nos plus habiles chefs militaires. M. Thiers vient enfin de donner à la ville de Paris un préfet au nom tout Parisien. M. Léon Say, qui porte dans des fonctions aussi difficiles que délicates une intelligence vive et sensée formée par l’étude à l’administration de la grande cité. D’autres changemens viendront sans doute, M. Thiers ne s’arrêtera pas là, il voudra constituer tout à fait un gouvernement actif qui, sous ses auspices, deviendra justement ce gouvernement de la réorganisation nationale dont nous avons tant besoin.

Certes ce gouvernement peut rassembler toutes ses forces, il n’en aura jamais trop pour tout ce qui lui reste à faire à Paris comme en