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« Je n’appelle pas l’empereur un dieu, disait Tertullien, parce que je ne veux pas me moquer de lui. Je n’ai qu’un maître, qui l’est aussi de l’empereur ; il faut l’adorer, si l’on veut qu’il soit favorable à César. Gardez-vous de croire et d’appeler un dieu celui qui ne peut rien sans l’aide de Dieu. » Lorsqu’il fut bien constaté que le culte impérial n’était qu’une manière détournée d’honorer l’autorité souveraine, le christianisme n’avait plus les mêmes raisons de s’en plaindre. Le Christ avait recommandé le respect aux puissances établies : sa religion fut de bonne heure amie de la discipline et de l’ordre. Elle proclame que l’autorité vient de Dieu, qu’elle est une sorte de délégation de la puissance divine ; elle fait un devoir de la respecter et de lui obéir : elle cède vite à la tendance d’assigner au prince une place particulière entre l’homme et Dieu. Dès le IIe siècle, son docteur le plus sévère disait : « Nous rendons à l’empereur tous les hommages qu’il nous est permis de lui rendre, et qu’il lui est utile de recevoir ; nous le regardons comme un homme, mais un homme qui vient immédiatement après Dieu, il tient de Dieu ce qu’il possède, mais il n’est inférieur qu’à lui. » C’est à peu près de la même façon que s’exprime Horace lorsque, s’adressant ; à Jupiter, il lui demande de prendre pour ainsi dire César pour son lieutenant (Tu, secundo Cœsare, regnes). « Qu’au-dessous de toi seul, lui dit-il, il gouverne par d’équitables lois l’immense univers. » Quand le prince est le premier des hommes, il est bien près d’être au-dessus d’eux. S’il est l’objet particulier des faveurs célestes, s’il a été désigné par un décret spécial pour régner sur un peuple, s’il tient d’en haut les qualités nécessaires pour y réussir, il n’est plus possible de le confondre avec le troupeau qu’il gouverne. Il y a inévitablement dans cette façon de grandir l’autorité souveraine, de la rapprocher du ciel, un principe d’apothéose, et même au sein du christianisme ce principe a quelquefois porté ses fruits. « Il faut obéir au prince comme à la justice même, dit Bossuet ; ils sont des dieux, et participent en quelque façon à l’indépendance divine, » et il continue en faisant entre le prince et Dieu une de ces comparaisons dont les écrivains païens pouvaient lui offrir plus d’un exemple. « Comme en Dieu est réunie toute perfection, ainsi toute la puissance des particuliers est réunie en la personne du prince. Quelle grandeur qu’un seul homme en contienne tant ! Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant ; que l’autorité cesse dans le royaume, tout sera en confusion. Considérez le prince dans son cabinet ; de là partent les ordres qui font aller de concert les magistrats et les capitaines, les provinces et les armées. C’est l’image de Dieu, qui, assis dans son trône au plus haut des cieux, fait aller toute la nature. Les méchans ont beau se cacher, la lumière de Dieu les suit par-