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partis dynastiques et irréconciliables. La monarchie constitutionnelle est considérée par l’immense majorité des citoyens comme le régime qui convient le mieux au pays dans les circonstances actuelles, et nul prétendant ne dispute à la maison de Savoie la couronne qu’elle a si laborieusement conquise sur l’étranger, et que la nation lui a décernée. C’est une grande cause de faiblesse pour un pays que d’être partagé entre des factions puissantes qui ne s’accordent ni sur la forme du gouvernement, ni sur le prince à qui doit appartenir le pouvoir. Les bases mêmes de l’édifice politique n’étant point affermies, la marche régulière de l’administration et le règne de la liberté sont également impossibles. Voilà ce qui rend encore si difficile la situation actuelle de l’Espagne. L’Italie n’a pas à craindre non plus ces conflits de races hostiles qui entravent la réorganisation de l’Autriche. L’unité de langage, de race, de traditions, de culte, ont amené la fusion des anciens états en une seule nation avec une facilité et une rapidité que nul n’avait prévues. Les Italiens, quoique leur esprit soit porté à l’ironie et à la satire, sont très faciles à gouverner : ils se soumettent avec une résignation intelligente aux plus lourdes charges quand ils savent qu’elles sont nécessaires au salut du pays. Voyez en définitive combien peu de résistance ont rencontré la conscription et l’impôt sur la mouture, deux mesures bien dures pourtant et très irritantes dans l’application. Le mécontentement des classes inférieures, la question sociale, comme on dit, est bien moins à craindre en Italie qu’en Angleterre, en France, en Belgique, en Allemagne, parce que la grande industrie n’a pas encore créé de prolétariat dans la péninsule. Le roi a parfaitement compris et rempli son rôle de souverain constitutionnel, et il ne paraît point en ambitionner un autre. Le nombre des hommes d’État capables de remplir les hautes fonctions du gouvernement est plus que suffisant. Les classes aisées et le peuple, animés d’un patriotisme bien inspiré, sont prêts à tout pour assurer la prospérité de cette patrie si longtemps rêvée et enfin conquise. La situation intérieure est donc excellente. Les relations avec l’étranger ne sont pas moins bonnes ; tous les états sont sympathiques à l’Italie, et, chose curieuse, habile au moins, sinon admirable, c’est avec l’ennemi séculaire, avec l’Autriche, que l’entente est la plus cordiale.

Quand on songe aux longues et sanglantes luttes par lesquelles les autres pays ont passé pour établir leur indépendance et leur unité nationales, on s’étonne du bonheur extraordinaire de l’Italie, qui est arrivée au même but en moins de dix ans ; mais il faut lui rendre cette justice qu’elle a su faire bon usage des faveurs de la fortune. D’abord, dans les situations extrêmement difficiles où elle s’est trouvée, ses hommes d’état ont agi avec une prudence et une