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nature à établir nettement notre position actuelle dans les arts. Par un bonheur inespéré, les caisses des véritables exposans arrivèrent de Paris pendant le règne de la commune, qui ne mit aucun obstacle à leur départ. Dès lors tout changea de face ; on ne garda des artistes morts que quelques ouvrages hors ligne, qui forment comme une brillante introduction à l’art contemporain, et donnent à notre exposition un intérêt de plus sans lui ôter son caractère d’actualité.

Nous n’avons pas à nous étendre sur les tableaux dont le public parisien a déjà pu apprécier la valeur, et c’est seulement pour signaler leur présence que nous citons quelques toiles célèbres, telles que le Marat dans sa baignoire de Louis David, le Triomphe de Bonaparte, premier consul, de Prud’hon, l’Iliade et l’Odyssée, études pour l’Apothéose d’Homère d’Ingres, la Marguerite et le Soldat convalescent de Ary Scheffer, la Sainte Cécile et la Marie-Antoinette de Paul Delaroche, l’Amende honorable, les Convulsionnaires de Tanger, le Mirabeau d’Eugène Delacroix, des animaux de Troyon, des paysages de Théodore Rousseau, etc. Parmi les ouvrages de fraîche date envoyés par nos exposans, un grand nombre a déjà figuré à nos dernières expositions. Le Dernier jour de Corinthe de M. Tony Robert-Fleury, la Vérité de M. Lefebvre, le Saint Vincent de Paul de M. Bonnat, le Maréchal de Saxe et Après la bataille par M. L. Brown, la Solitude par M. Cabanel, le Peintre par M. Meissonier, l’Idylle et l’Apollon et Mydas par M. Levy, les Dames de Saint-Cyr jouant Athalie par M. Caraud, plusieurs toiles importantes de MM. Corot, Daubigny, Millet, Ch. Jacque, Ribot, Vollon, etc., retrouvent à Londres les applaudissemens qui déjà les ont accueillis à Paris; mais dans cette exposition, où la supériorité de nos artistes apparaît d’une manière éclatante, la foule fixe surtout son attention sur un jeune peintre dont la mort héroïque sous les murs de Paris a vivement ému l’opinion publique pendant le siège, Henri Regnault, le fils du savant directeur de la manufacture de Sèvres.

Tout le monde se rappelle l’étrange et saisissant Portrait du général Prim, que l’artiste montre tête nue et caracolant sur son cheval noir au milieu des bataillons qui défilent en l’acclamant. L’autre toile de Regnault, intitulée une Exécution dans l’Alhambra, dénote les mêmes tendances que la Salomé. C’est la dernière œuvre de l’artiste; elle porte la date de 1870, et fut terminée peu de jours avant le siège de Paris. C’est un tableau capital, qui n’a pas été vu en France, et qui, sous tous les rapports, mérite que nous nous y arrêtions un moment. En principe, nous croyons que la mission de l’art est de traduire les sentimens les plus nobles dont l’huma-