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charmé, mais surpris, de voir la petite presse, tant calomniée, devenir inopinément une forme de la prédication laïque, et le père Bridai ne revivre à l’improviste dans l’auteur de la Vieillesse de Brididi. Ce fut lui vraiment qui se chargea de châtier de la bonne façon les barons d’Estrigaud, et de déclarer « que du moment que ces jolis messieurs étaient reçus dans les meilleures maisons, qu’ils possédaient des galeries de tableaux qu’on venait visiter en pèlerinage, et qu’ils exerçaient même une certaine influence sur la fortune publique, il n’y avait pas deux partis à prendre : les gens non encore gangrenés n’avaient plus qu’à faire un paquet de leurs hardes et à s’expatrier. » Plus tard, ce ne fut plus le baron d’Estrigaud qui attira les coups du pamphlétaire. Un beau jour, nouveau Diogène, il alluma sa lanterne et chercha un homme dans les rues de Paris. Il ne l’y trouva pas; mais, en passant devant les Tuileries, il s’y arrêta, et ce fut là, dans les ombres du vieux palais, qu’il plongea les clartés vengeresses de son flambeau. Lui aussi, il devint un grand justicier.

Qu’y avait-il au fond de ces colères qui n’épargnaient rien, qui poursuivaient d’une invective enflammée les sentimens les plus intimes, les plus inviolables pour les honnêtes gens, et jusqu’à l’âge innocent de celui à qui l’on ne pouvait reprocher que le crime d’être né? On a dit que c’était la revanche des indignations longtemps muettes et comprimées contre l’ordre politique et social; mais qu’on nous montre quelle passion dictait cette acre satire contre des puissances et des splendeurs si voisines déjà de l’abîme. S’inspirait-elle d’un sentiment de moralité supérieure à ce qu’elle condamnait, à ce qu’elle flétrissait? On a le droit de le demander. La satire n’a sa valeur et ne produit tout son effet que lorsqu’elle vient des hautes régions de l’âme, et que la passion de la justice l’anime. Un Juvénal suspect de n’être pas un stoïcien court le risque de n’être qu’un déclamateur. N’était-ce pas précisément le cas pour ce Juvénal improvisé au lendemain d’un vaudeville graveleux? La question n’est guère douteuse aujourd’hui; elle s’est singulièrement éclaircie depuis quelque temps. Non, celui qui avait jeté sa bile et son fiel (turbida bilis) sur ces pages accusatrices n’avait jamais conçu

….. Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.


Pour lui, comme pour beaucoup de ses émules en pamphlet, il ne s’agissait guère de faire régner la vertu sur la terre. On n’était pas si naïf que cela. On s’enivra, d’abord sans arrière-pensée, de la popularité facile que procure toujours chez nous la polémique contre le pouvoir, et surtout la polémique par l’insulte; puis, quand le suc-