martyrs sur le tambour des révoltés, et agitant comme un étendard au bout d’un glaive la chemise teinte de sang du dernier de leurs suicidés! Dieu sait où les conduirait leur folie. « Toute cette page est écrite dans un accent de prophétique menace. Il est vrai que le dignitaire de la future commune ajoute une restriction à sa lugubre prophétie. « Nous avons vu, dit-il, ce que valaient ces religions de l’émeute, ces théories du combat! La liberté n’y gagne rien, la misère y perd, seulement le ruisseau est rouge. » Pourquoi n’a-t-il pas mis à profit cet avertissement qu’il semble se donner à lui-même? Ce n’est, hélas! qu’une lueur de bon sens qui va se perdre dans l’orgie des insanités intellectuelles et des désirs furieux.
Nous avons marqué les deux premières phases de la bohème, d’abord souffrante, puis militante. La troisième phase, à laquelle nous arrivons, est celle de la bohème triomphante; elle date des élections de 1869. L’entrée de M. Rochefort au corps législatif ne marque-t-elle pas en effet une ère nouvelle dans les destinées de la bohème? C’est à ce moment que se fondent les clubs exaltés et les journaux agitateurs qui sont sa gloire et son œuvre. Ces clubs ne sont rien autre chose que l’émeute en permanence, ou mieux en représentation tous les soirs, et quant aux journaux, ils battent le rappel dans tous les quartiers de Paris, sous les yeux d’un gouvernement affaibli par ses fautes, presque désarmé par l’opinion, et d’une bourgeoisie heureuse de se distraire en donnant des avertissemens au pouvoir. Tout cela était-ce, comme le prétendait l’opinion radicale, le signal des revendications légitimes, le réveil du peuple, l’aube de la liberté? Non, une aurore si orageuse n’annonce pas un jour pur et serein. Ces clubs et ces journaux, c’était la grande voix de la bohème politique, et cette voix se faisait entendre bien plus loin, elle remuait bien plus profondément les masses que la rhétorique officielle et les colères mesurées de l’opposition parlementaire. Les agitateurs les plus fameux de la foule sont des bohèmes qui se sont exercés à la vie politique dans ces cafés qu’on appelle littéraires, je ne sais trop pourquoi. Dans l’historique des derniers événemens, on n’a pas tenu assez grand compte de cette éducation du bavardage excentrique, de ce noviciat de l’extravagance parlée dans les longues heures du soir, autour des tables où se réunissaient les vanités les plus prétentieuses de la bohème parisienne. Il paraît cependant que c’est là que se sont préparés depuis deux ans plusieurs des épisodes de notre triste histoire. Écoutons un de ceux qui ont le mieux connu, pour les avoir pratiquées à fond, ces mœurs étranges, et ne nous