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la vigilance de ceux qui doivent les combattre en leur inspirant une fausse sécurité. Un mal existe-t-il dans la société, il vaut mieux qu’il se révèle dans toute son intensité. C’est de cette façon seulement qu’on fait ce qu’il faut pour y obvier. Les Français et les Anglais ont suivi à cet égard deux méthodes différentes. Les premiers ont toujours comprimé la manifestation des idées anarchiques, afin d’en prévenir la contagion; les seconds leur ont laissé toute latitude, d’abord par respect pour la liberté, ensuite pour exciter la vigilance de ceux qui étaient menacés. Jusqu’à présent, la méthode anglaise de traiter ce genre de mal a mieux réussi que la méthode française.

Ceux qui ont peur ne seront pas très éloignés non plus d’abdiquer tout droit aux mains de l’église ou de l’état : mauvais calcul, également dicté par l’imprévoyance. Sans doute il ne faut rien négliger pour répandre dans toutes les classes un sentiment religieux, moral, raisonnable, surtout réglant tous les actes de la vie; mais donner le pouvoir au clergé serait le sûr moyen d’ébranler ce sentiment, déjà si affaibli. Aux États-Unis, le clergé n’a aucun privilège, aucun budget : il est respecté. Sous l’ancien régime et sous la restauration, l’église était une puissance : la religion était en butte aux attaques incessantes des amis de la liberté. C’est inutilement d’ailleurs qu’on demanderait au clergé d’étouffer les idées égalitaires, il n’y parviendrait pas. C’est la Bible à la main que les paysans ont réclamé au XVIe siècle l’égalité des biens; les couvens donnent l’exemple du communisme; enfin entre le prêtre qui promettra à l’ouvrier le bonheur dans l’autre monde et le démagogue qui le lui garantira dans celui-ci, le choix ne saurait être douteux. Ce n’est donc pas la théocratie qui sauvera la société actuelle.

Ce n’est pas davantage le despotisme. Le despotisme ne peut nous donner le repos, car ce n’est pas un gouvernement stable. Quoiqu’il se proclame héréditaire, en fait il est presque toujours viager. Dans l’empire romain, la transmission héréditaire du pouvoir est une exception. On a défini le régime en vigueur en Russie l’absolutisme tempéré par le régicide. Le dernier empire en France avait proclamé à la fois l’hérédité de la couronne et la responsabilité du souverain. Or ces deux principes s’excluent. Si celui qui exerce le pouvoir exécutif gouverne par lui-même et se rend ainsi responsable des actes du gouvernement, il faut qu’il soit soumis à l’élection comme un président de république, ou qu’il puisse être renvoyé par une manifestation légale de la représentation du pays comme un ministre constitutionnel, sinon on aura des révolutions périodiques. Un souverain a-t-il commis des fautes graves et subi des revers dont on peut le rendre responsable parce qu’il en est