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LA REVANCHE DE JOSEPH NOIREL.

un bon estomac, des bras et des jambes qui ont toujours aimé à se remuer et une certaine lueur de bon sens qui m’a servi à me conduire. J’ai eu de la chance, j’en conviens. Il n’en est pas moins vrai que j’ai commencé petitement, et, si je suis arrivé, je me permets de croire que j’y suis bien pour quelque chose. — Et, ce disant, il caressait d’un œil amoureux sa maison, sa remise, sa vigne et ses poiriers. — Ce qu’il y a de beau, ajoutait-il, c’est que tout ceci a été gagné honnêtement. Je ne suis pas comme tel et tel. Nous avons des principes, nous autres. Je peux mettre la main sur ma conscience, elle n’a rien h me reprocher. — M. Mirion aimait à parler de sa conscience et de ses principes ; c’est un travers qu’il partageait avec plusieurs de ses compatriotes.

Si M. Mirion était un homme heureux, Mme Mirion était assurément une heureuse femme ; mais elle n’avait pas le sens rassis et la tranquillité d’humeur de son mari. Son bonheur était bruyant, gesticulant, un peu lyrique. Petite, grassouillette, ronde de taille et de visage, pirouettant sur elle-même comme une toupie, elle avait le sang aduste comme une fourmi, et ses yeux et sa langue étaient aussi remuans que ses jambes. Elle allait, venait, tournait et virait sans déparler ; toujours hors d’haleine, ses deux grands plaisirs étaient de s’agiter et de se raconter. À vrai dire, elle n’était pas exempte de ce défaut auquel les Anglais ont donné le nom de snobism. Elle professait une admiration peut-être exagérée pour sa maison et pour tout ce qui faisait partie de sa maison, y compris ses canards et ses canaris. Ses poiriers étaient les plus beaux de tous les poiriers, les roses de son jardin avaient une suavité de parfum inconnue aux autres roses, l’eau de sa pompe avait un petit goût de noisette vraiment incomparable, ses poules pondaient quatre fois plus d’œufs que celles du voisin, et ces œufs, l’explique qui pourra, avaient presque toujours deux jaunes. Bref, Mon-Plaisir était un endroit unique, béni du ciel, où tout venait à souhait, où l’herbe poussait plus dru que partout ailleurs, où la pluie ne tombait jamais qu’à propos et quand on l’appelait, vrai paradis éclairé d’un soleil qui était non le soleil banal, celui de tout le monde, mais un soleil affecté au service particulier de M. et de Mme Mirion. Les innocentes imaginations de sa femme faisaient sourire le marchand de meubles. Il l’en raillait quelquefois. — Ma bonne Marianne, lui disait-il, il y a des choses qu’il est permis de croire ; mais mieux vaut les garder pour soi, sous peine de prêter à rire. — Elle se récriait. — Tant pis pour les rieurs ! répliquait-elle. Ce sont des jaloux qui rient jaune. — De son côté, elle lui reprochait de ne pas tirer assez d’avantage de sa nouvelle situation, de ne pas donner assez à la montre, à la parade, Elle estimait que le faste et le bruit