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doux au cœur de Mme Mirion. M. Mirion en tenait aussi ; idolâtre de sa fille, quand il la contemplait, il se sautait grandir de deux coudées. Il n’y avait pas jusqu’à l’oncle Benjamin qui ne rendît les armes à Marguerite. Il était fort galant avec elle, lui prodiguait les marrons glacés, lui débitait des madrigaux ; toutes ses économies d’argent et de poésie y passaient. Il lui disait quelquefois en la prenant par le menton : — Oh ! la belle fille que voilà ! Comment diable es-tu venue au monde ? Ton père a des yeux de grenouille, ta mère est une ragote : comment s’y sont-ils pris pour bâtir ce chef-d’œuvre ? S’ils étaient de bonne foi, ils conviendraient qu’ils t’ont ramassée sous un chou.

Qui dit fille unique et belle dit en général enfant gâté. Quoiqu’ils s’y fussent appliqués à l’envi, M. et Mme Mirion n’avaient pas réussi à gâter leur fille. Son naturel généreux avait résisté aux complaisances excessives dont on l’entourait. Tous ceux qui l’ont connue savent qu’elle n’était ni personnelle, ni hautaine. La tante Amaranthe et Mlle Grillet attestèrent que son humeur était égale et accorte, qu’elle s’occupait des autres, qu’elle avait des prévenances et des attentions délicates. Ce qui dominait chez elle, c’était la parfaite pureté du sentiment, une grande noblesse de caractère. Elle était au-dessus de tous les calculs sordides, de toutes les petites passions basses ; elle n’avait pas la peine de s’en défendre, elle en était préservée par une candide ignorance du mal.— La vanité sert à quelque chose. Si Marguerite avait passé toute sa jeunesse dans la maison paternelle, son esprit, je le crains, s’y serait épaissi ; elle aurait contracté de mauvais plis et d’incorrigibles travers. Par bonheur, madame sa mère avait décidé de lui faire donner ce qu’elle appelait une éducation superfine, et à cet effet elle avait eu le courage de s’en séparer pour la placer dans un célèbre et aristocratique pensionnat du canton de Vaud. Marguerite s’y était trouvée en présence de filles de bonne maison. Dans ce troupeau d’élite, elle avait fait mince figure ; malgré ses beaux yeux, la fille du fabricant de meubles avait été reléguée à l’arrière-plan. Elle n’avait point part aux faveurs ; on ne lui donnait que son dû et on la tenait de court. À cette école, elle avait appris à faire des comparaisons qui lui avaient formé le jugement. Elle avait appris aussi à se taire et à se contraindre, ce qui est le fond d’une éducation superfine ; mais, grâce à Dieu, elle n’y avait rien perdu de sa gaîté, qu’elle rapporta chez ses parens, comme elle venait d’accomplir sa dix-septième année. Elle y rapportait encore un certain bagage d’écrivasseries et de lectures bien ou mal digérées, des clartés confuses de beaucoup de choses, un assez joli talent de musicienne. Le soir de son arrivée, quoi qu’en puissent dire M. Mirion et la timorée