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que la nation germanique était déjà vieille, et la France vaincue, démembrée, rejetée en arrière par des malheurs sans nom, est réduite en quelque sorte à recommencer son histoire. D’un autre côté, pour la première fois depuis des siècles, depuis l’institution du pontificat, un pape se trouve avoir régné plus de vingt-cinq ans, il a dépassé les années de Pierre, et au même instant un petit prince du Piémont va ceindre à Rome une couronne que nul n’a jamais portée, consacrant en plein Capitole, par la prise de possession de la ville éternelle, l’unité italienne, désormais accomplie. Tout ceci est d’hier aussi bien que nos désastres, aussi bien que la reconsiitution de cet empire d’Allemagne orgueilleusement et dangereusement fondé sur nos revers. Il y a eu des époques où un seul de ces événemens eût certes suffi et au-delà pour remuer le monde.

Tout est révolution aujourd’hui, ce qui se passe en Italie est une révolution, une des scènes extraordinaires de l’histoire. C’en est donc fait, ce qu’on croyait presque impossible est réalisé ; le programme de Cavour est accompli jusqu’au bout. Depuis hier, depuis le 2 juillet, Rome capitale n’est plus un vain mot. Il n’y a qu’une chose changée dans le programme de Cavour, L’Italie ne devait aller à Rome qu’avec l’assentiment de la France, ou tout au moins sous la protection du principe de non-intervention sauvegardé par la France ; elle y est allée sans nous demander notre opinion, à une heure où nous étions assez occupés ailleurs pour qu’il n’y eût ni consentement, ni refus possible de notre part. Au moment où nos désastres se précipitaient l’an dernier, on commençait à distinguer déjà ce qui allait se passer, L’Italie se mettait, elle aussi, en campagne, et se disposait à marcher sur Rome, puis tout d’un coup le rideau tombait et nous séparait de l’univers. Pendant cinq mois, nous n’avons plus compté, nous avons été des étrangers dans les affaires du monde, à peine avons-nous su tout ce qu’on faisait sans nous en Italie, comme en Orient. Quand le rideau s’est relevé, tout était accompli. Le pouvoir temporel avait vécu ; de son domaine souverain de la veille, il n’avait, plus que le Vatican et son jardin ; l’Italie tenait garnison à Rome, le parlement de Florence réglait les conditions pratiques du changement définitif de la capitale, et il discutait, il votait la loi des garanties papales, ce qu’on pourrait appeler la charte nouvelle de l’indépendance spirituelle du saint-siége. La question était résolue dès ce moment sans nul doute. Aujourd’hui elle est tranchée bien plus souverainement encore par le fait accompli. Le gouvernement italien a déménagé de Florence, il est à Rome, où toutes les administrations vont se concentrer, où le parlement se réunira désormais. C’est le 2 juillet que le roi Victor-Emmanuel a fait décidément et solennellement son entrée dans sa nouvelle capitale, au milieu des acclamations et des fêtes dont le bruit retentit encore.