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nous y faire subsister pendant l’hiver, la sympathique sollicitude, la belle abnégation de son successeur ; pour mener à bonne fin le siège entrepris, la ténacité de ce taciturne, qui eût mérité de garder pour devise la seule réponse qu’il opposait à toutes les critiques : « je prendrai la tour Malakof. »


III.

Sébastopol pris, la flotte russe détruite, les alliés songèrent à trouver un emploi pour l’immense force navale qu’ils avaient réunie dans la Mer-Noire. Cinq opérations furent proposées : l’occupation du détroit de Ghenitshek et la destruction du pont de Tschongar, — l’occupation de Kaffa et d’Arabat, — l’attaque des batteries dont les Russes avaient conservé la possession sur la rive septentrionale du port, — le bombardement d’Odessa, — l’enlèvement du fort de Kinburn à l’embouchure du Dnieper. Aucun de ces projets ne supporta un examen sérieux, si l’on en excepte le projet concernant le fort de Kinburn. « C’est la seule entreprise, écrivait l’amiral Bruat, qui se puisse et se doive tenter en ce moment. Il ne s’agit pas seulement de détruire les fortifications qui gardent les bouches du Bug et du Dnieper ; il faut s’y loger, couper la presqu’île de Tendra et bloquer par ce moyen Nikolaïef, comme nous bloquons déjà la mer d’Azof. Nous aurons ainsi une base d’opérations pour la campagne prochaine, ou un gage important, si nous voulons traiter de la paix. »

La réponse du ministre se fit attendre. Elle nous fut enfin transmise par le télégraphe : « défense de l’empereur d’agir contre Odessa ; ordre d’enlever et d’occuper le fort de Kinburn. » Quand ce message laconique parvint à Kamiesh, le vice-amiral Bruat venait d’être promu à la dignité d’amiral. Sa santé, toujours chancelante, avait décliné rapidement depuis l’expédition de Kertch. La saison était avancée. Le retard qu’on avait mis à nous répondre ouvrait largement la porte aux objections. L’amiral n’en fit cependant aucune. Il fut le seul qui ne s’aperçut pas qu’on donnait une bien grave responsabilité à encourir à un homme dont la tâche pouvait être considérée comme remplie et dont la fortune était faite. L’amiral Lyons eût préféré agir contre Odessa ; l’amirauté britannique l’y autorisait. Il n’hésita pas à faire le sacrifice de ses idées personnelles pour prêter tout son concours à l’opération qui avait eu l’approbation du gouvernement français. C’était un loyal allié. S’il y a eu parfois des dissentimens et des susceptibilités entre les deux armées, il n’y en a jamais eu entre les deux flottes.

Nous avions à notre disposition des moyens maritimes considé-