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aucune manière l’objet auquel on les destine. Ils pèchent par tels détails, seraient dangereux à l’emploi, éclateraient sous la pression des gaz. Comment y songer d’ailleurs quand on a des modèles aussi parfaits que les nôtres, des modèles que l’Europe nous envie ? — C’est un compliment qu’on ne se refuse jamais. Ainsi parle un rapporteur pour l’acquit de sa conscience, après quoi, enterré dans toutes les formes, le dossier tombe dans des cartons d’où jamais dossier n’est revenu. De bonne foi, n’est-ce pas ainsi que les choses se passent ? Pourtant quel intérêt il y aurait eu à se montrer plus avisé et moins inattentif ! Ce qu’on nous proposait là en 1867, c’était une portion du secret de la Prusse en 1870. Quand nous n’aurions pris des mains qui nous les offraient que quelques-uns des types qu’on allait armer contre nous, qui devaient un jour nous écraser à Sedan, nous foudroyer à Paris, n’était-ce pas de bonne guerre et un véritable coup de partie ? Au moins nous aurions été sur nos gardes comme la Prusse l’a toujours été pour nos prétendus secrets.

Mais achevons ce récit. En renvoyant l’affaire à son comité, le ministre de la guerre, c’était alors le maréchal Niel, croyait l’avoir bel et bien étouffée ; elle eut pourtant un dernier incident. Le chargé de pouvoirs de M. Krupp avait adressé à l’empereur le double de ses propositions avec deux brochures à l’appui[1]. Ces deux brochures rendaient compte d’un tir avec un canon de 9 pouces anglais, se chargeant par la culasse, et d’un autre tir à outrance avec un canon de 4. La première de ces expériences avait eu lieu par ordre de l’empereur de Russie, la seconde par ordre du ministre de la guerre de Prusse. Le pli suivit son cours ; du cabinet de l’empereur, il passa chez le maréchal, et le plus naturellement du monde revint au comité d’artillerie, c’est-à-dire aux mêmes oubliettes. Cette fois pourtant il fallait répondre sinon à l’impétrant, du moins au maître ; ce fut le général Lebœuf qui en fut chargé, cette réponse en date du 27 février 1868 est un modèle d’équivoque. « Parmi les pièces en acier, dit-il, plusieurs ont résisté à un grand nombre de coups ; mais il s’est produit, pour d’autres, après un nombre de coups restreint, des éctatemens qu’on n’a pu attribuer qu’au défaut de l’homogénéité de l’acier… En attendant, on pousse l’industrie française, qui semble en retard sous ce rapport, à se mettre à la hauteur de la fabrication de Krupp, qui jusqu’à présent semble avoir la supériorité. » Voilà ce que le général trouve à dire à propos d’expériences concluantes, et il ajoute, en termes non moins évasifs, que d’une part il n’y aurait plus lieu

  1. Papiers et Correspondance de la famille impériale, 20e livraison.