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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/677

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reviennent plus que jamais à l’impôt sur le revenu ; mais l’impôt sur le revenu implique à son tour un remaniement presque complet de notre système tributaire, et c’est ainsi que les problèmes s’agrandissent. La commission du budget est encore à l’œuvre, et tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle porte dans l’étude de ces épineuses affaires de finances un esprit qui, pour être indépendant, ne se prêtera pas moins aux transactions nécessaires.

Une des questions les plus graves, les plus délicates peut-être, et où éclate avec le plus d’ingénuité l’esprit à la fois conservateur et novateur de cette assemblée versaillaise chargée de remettre la France sur le chemin du salut, c’est cette question de l’organisation des conseils-généraux ou de la décentralisation, qui vient d’être agitée pendant quelques jours. La loi de décentralisation, due à l’initiative parlementaire, a été votée à une seconde lecture, — une réforme dont on parlait depuis si longtemps se trouve presque accomplie. Y aura-t-il à la dernière heure, à l’épreuve suprême et définitive de la troisième lecture, quelque revirement provoqué par une intervention plus ou moins directe du chef du pouvoir exécutif ? Ce qui est clair, c’est que l’assemblée tient à son œuvre, c’est que la majorité, formée d’ailleurs en dehors de tout esprit de parti, a enlevé la victoire au pas de charge, sans se laisser détourner par les oppositions ou les malveillances qui cherchaient à lui faire peur de ses témérités novatrices. On peut dire en effet que la loi nouvelle est bien l’expression des tendances les plus intimes de cette masse parlementaire, de cette armée qu’on ne sait trop comment définir, puisqu’elle compte des soldats dans tous les camps, dans la jeune gauche comme dans la droite, mais qui porte certainement dans les affaires publiques un grand fonds de bon vouloir, du libéralisme, de la sincérité, une sorte de hardiesse involontaire et pas du tout de préjugés. Le vote qui tranche une si grosse question est presque audacieux, nous en convenons, la discussion a été des plus intéressantes, bien plus intéressante que beaucoup d’autres discussions qui font plus de bruit ; elle a révélé des talens réels, de vrais orateurs, jeunes ou anciens, partisans ou adversaires de la réforme nouvelle, M. Ernoul, M. Achille Delorme, M. Émile Lenoel, M. Raoul Duval, M. Ernest Duvergier de Hauranne, sans parler du spirituel et impétueux patriarche de la décentralisation, M. Raudot, et sans oublier M. Léonce de Lavergne, qui n’a pas peu contribué à décider le succès de la loi par deux courtes allocutions d’une netteté familière et incisive. Tout le monde a donné dans la bataille, et en fin de compte la décentralisation a triomphé de toutes les résistances, des honnêtes scrupules du ministre de l’intérieur, M. Lambrecht, de l’hostilité très vive de M. Ernest Picard, qui se croyait peut-être encore ministre, ou qui espère le redevenir, des velléités autoritaires d’une fraction de la gauche, de ce que nous appellerons la vieille garde de