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nus : qu’ont-ils fait de plus ? Ils se sont servis du même instrument ; ils ont été un peu plus despotes que les autres, ils le seraient encore à l’occasion, et il faudrait en passer par là. Le mot le plus terrible qui ait été dit est certainement celui qu’un jeune orateur, M. Ernoul, laissait échapper l’autre jour en pleine assemblée : « ne sentez-vous pas qu’en France les extrémités sont froides ? » L’omnipotence stérile des administrateurs amenant la décadence de toute initiative dans le pays, le « froid aux extrémités, » voilà le dernier et redoutable résultat. Est-ce que vous croyez qu’en présence d’un tel mal il suffise de remettre la main sur la vieille machine et de recommencer une si cruelle histoire administrative ? Une réforme, prudente si l’on veut, mais dans tous les cas assez sérieuse pour devenir un stimulant énergique, s’imposait de toute nécessité, et la loi nouvelle ne fait en définitive rien de plus que d’essayer cette réforme en tempérant la prépondérance administrative par la coopération des assemblées locales, des délégations des conseils-généraux. C’est là sa raison d’être et sa légitimité.

Après cela il est bien entendu qu’on ne peut, qu’on ne doit rien faire qui puisse porter atteinte à l’unité nationale. Ce n’est point certes le moment d’affaiblir la France, de diminuer ses moyens d’action. M. Ernest Picard nous permettra de lui dire qu’il a défendu une cause gagnée d’avance dans tous les esprits, et qu’il s’est donné à peu de frais un air d’homme d’état revendiquant les conditions essentielles de tout gouvernement. De tous ceux qui acceptent les réformes nouvelles, pas un ne les eût votées, s’il avait entrevu ces anarchiques et désastreuses confusions de pouvoirs que l’ancien ministre de l’intérieur s’est plu à évoquer comme un spectre dont nous ne saisissons pas bien la couleur, s’il avait pu avoir la crainte sérieuse de toucher à l’unité de la France, à cette « robe sans couture » dont on a parlé. L’anarchie, hélas ! elle est toujours possible, et pour bien d’autres causes, sans que la modeste mesure d’indépendance laissée à des assemblées départementales y soit pour rien. Franchement il ne faut point exagérer ainsi. En quoi l’unité nationale est-elle menacée, parce que les conseils-généraux auront quelques droits et quelques pouvoirs mieux définis, parce que, de concert avec le préfet, ils disposeront de quelques subventions ou de quelques fonctions exclusivement rétribuées par le département, parce qu’il y aura auprès des préfets des commissions élues qui régleront l’ordre dans lequel s’exécuteront certains travaux de voirie, qui surveilleront l’emploi de certaines sommes affectées aux départemens ? Après comme avant la loi, les conseils-généraux ne sont pas moins enfermés dans des attributions d’où ils ne peuvent sortir sans s’exposer à voir leurs délibérations annulées par un simple décret. Ils ne peuvent nullement gaspiller et épuiser la fortune publique, comme on l’a dit, puisque la loi annuelle des finances fixe la limite dans laquelle ils ont la faculté