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ces transports ; nous avions mission de les interrompre en obligeant les navires qui les opéraient à se renfermer dans Venise.

Les officiers de l’escadre autrichienne étaient pleins d’ardeur ; c’étaient déjà les vaillans officiers qui devaient triompher à Lissa. Ils demandaient à tenter une sortie et à nous faire lever un blocus qui les humiliait. L’archiduc ne crut pas qu’il fût sage d’aventurer une flotte qu’on avait eu tant de peine à créer, et que l’Autriche, si elle la perdait, ne se déciderait jamais à reconstruire. Il préféra s’inspirer de l’exemple des défenseurs de Sébastopol, et appliqua tous ses soins à nous interdire l’approche de la ville. Le vaisseau le Kaiser, qui venait à peine de descendre des chantiers de Pola, était mouillé à l’entrée de la passe centrale. Au lieu d’en poursuivre l’armement, on prit toutes les dispositions pour le couler entre les jetées de Malamocco, et boucher ainsi le seul canal par lequel auraient pu s’introduire dans l’intérieur des lagunes des bâtimens d’un moyen tirant d’eau. Tout le cordon sablonneux qui s’étend du Lido à Chioggia fut couvert de batteries ; des canons furent montés sur les îlots qui émergent au-dessus des bancs entre lesquels il faut circuler pour se rendre de Malamocco à Venise ; les canaux furent garnis de mines sous-marines. C’est de Venise qu’a passé dans les états américains du sud cet art si ingénieux de défendre l’accès des rades par l’établissement de torpilles, et c’est de l’Amérique que, par l’intermédiaire du capitaine Maury, il nous est revenu.

Aucun de ces préparatifs ne nous échappait ; ceux que nous ne pouvions clairement discerner du pont ou des hunes de nos bâtimens nous étaient révélés par des communications qui nous arrivaient de toutes parts. Mon premier soir, une fois le blocus établi, avait été de chercher le moyen de correspondre avec le ministre. Par Rimini, Ferrare et Livourne, nous pûmes recevoir des lettres et même des transmissions télégraphiques. La frégate qui faisait partie de la division et un aviso qui m’avait été envoyé furent employés à maintenir de constantes relations avec Paris. Toute une flottille de bateaux romains nous apportait des bestiaux et des légumes frais ; nos machines distillatoires nous fournissaient de l’eau en abondance ; nos prises nous avaient procuré 7,000 tonneaux da charbon, et avaient en partie renouvelé nos vivres. Nous pouvions, sans rien demander au port de Toulon, tenir ainsi le blocus jusqu’à l’hiver.

Toutefois on ne tarda pas à pressentir que les opérations de cette campagne ne seraient pas conduites avec la prudente lenteur qui préside aux guerres de siège. L’armée française n’avait pas ouvert la tranchée devant Plaisance, cru devant Pavie ; elle s’était portée par une marche de flanc sur Novare sans se laisser arrêter par ce nom de sinistre augure. La bataille de Magenta était livrée,