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applaudissemens de la populace, sur un âne dont on les forçait de tenir la queue en guise de bride, en butte aux plus ignominieux traitemens, exposés aux plus cruels supplices en punition de leur attachement au culte des images. L’empereur Constantin Copronyme avait trouvé mieux que tout cela : pour tourner en ridicule les moines, ses ennemis, ou pour leur inculquer de vive force le goût du mariage, il les forçait à se promener dans le cirque en procession, revêtus de leur froc, ayant chacun une femme à leur bras. La plèbe les couvrait de huées et de sifflets ; elle montrait autant de passion contre les sectateurs des images qu’elle en montra plus tard contre les iconoclastes, lorsque peu d’années après, dans ce même hippodrome, la réaction orthodoxe fit traîner sur la claie les ossemens de Constantin Copronyme, arrachés à leur cercueil. Le fanatisme religieux fit aussi dans ce temple du plaisir ses auto-da-fé ; sous l’empereur Alexis Comnène, un illustre docteur manichéen, qui avait eu l’imprudence de discuter théologie avec le prince et le mauvais goût de ne pas se laisser convaincre par ses argumens, fut brûlé vif à la fronde de l’hippodrome.

Byzance eut, parmi ses princes, des empereurs qui se glorifiaient du titre de justiciers, c’est-à-dire qui aimaient à rendre la justice à la turque. L’un d’eux, qui composait des chants d’église comme le bon roi Robert, mais qui dépêchait les coupables à la façon de Louis XI, l’autocratôr Théophile donna un jour à ses sujets, au milieu des solennités de l’hippodrome, l’intermède le plus inattendu et le plus tragique. Un préfet du palais avait volé à une veuve une galère avec tout son chargement. La matrone avait adressé plusieurs requêtes au justicier ; mais l’habile courtisan les avait toujours arrêtées au passage. À la fin, elle s’adressa aux pantomimes chargés de divertir le public dans l’intervalle des courses. Ceux-ci imaginèrent de fabriquer un petit navire en miniature, et, s’étant placés au pied de la tribune impériale, ils se mirent à débiter le dialogue suivant : « Allons ! avale-moi ce petit navire ! — Impossible ! — Impossible ? Comment ! le préfet du palais a pu engloutir une grande galère avec tout son chargement, et tu ne peux avaler cette coquille de noix ? » L’empereur, intrigué, envoie aux informations, apprend l’injustice commise, et, séance, tenante, dans la fronde de l’hippodrome, en présence de la population terrifiée, le coupable est placé sur un bûcher en grand costume de fonctionnaire et brûlé vif.

Le cirque offrait heureusement au peuple d’autres délassemens. Si l’on se promenait sous les portiques supérieurs de l’hippodrome, on avait sous les yeux un splendide panorama. Au midi, c’était la mer, le Bosphore, des milliers de voiles enflées par la brise, — les bâtimens marchands de toutes les nations, les vaisseaux de l’Italie,