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d’éloges emphatiques, il accueillit le sultan lorsqu’il revint de l’exposition de Paris. Dans nombre d’évêchés et d’écoles ecclésiastiques, le portrait d’Abdul-Aziz est orné des légendes les plus élogieuses. Parfois le caïmacan et l’évêque grec sont d’excellens amis ; à Volo, en 1866, ces deux notables personnages passaient les soirées ensemble ; ils étaient, répétaient-ils, l’un et l’autre des exilés volontaires qui avaient consenti à venir habiter cette ville pour refaire leur fortune, singulièrement endommagée ; ils comptaient s’en aller le plus tôt possible ; ils se consolaient dans un tête-à-tête où ils buvaient du raki (sorte d’anisette bien connue des voyageurs en Orient) jusqu’à en perdre la raison. Les deux membres non musulmans du mesliss sont choisis parmi les personnes sûres ; !e gouverneur n’a pas de peine à les trouver. Il ne faut pas s’imaginer les riches chrétiens de Roumélie toujours en fureur contre les Turcs. Beaucoup sont fermiers de l’impôt, d’autres ambitionnent une protection qui leur permette d’obtenir de sérieux avantages commerciaux. À l’occasion sans doute ils revendiqueraient énergiquement leur indépendance ; en attendant, ils s’accommodent à leur mal ; il y a même parmi les Grecs des hommes trop prudens qui ne voudraient pour rien au monde être soupçonnés de sympathie en faveur du royaume hellénique. Les projets de la Grèce les effraient ; ils répètent que ce petit état ne tient pas ses promesses, qu’il n’a su en trente ans que jeter des pillards sur la Thessalie, qu’au lieu de s’y réfugier en foule de la Turquie, les raïas qui ont eu la folie d’y émigrer doivent aujourd’hui en revenir. Cette riche bourgeoisie se défie parfois de l’université d’Athènes, qui exalte, dit-on, les jeunes gens ; elle préfère envoyer ses fils en France ou en Angleterre. Un des banquiers les plus importans d’Andrinople, personnage très réservé, m’emmena l’autre jour faire une longue promenade ; quand nous fûmes à deux lieues de la ville au milieu d’une grande plaine, il regarda avec soin à l’horizon, et, sûr que personne ne nous écoutait, m’avoua à voix basse la préoccupation qui l’obsédait. « Est-il vrai que la Grèce songe à une invasion eu Thessalie ? Ce serait notre ruine à tous ! »

On doit tenir compte de ce parti, il est influent ; la démagogie athénienne ne fait trop souvent que le confirmer dans ses opinions. Toutefois il faut reconnaître que la haine des Turcs et l’habitude de les flatter s’accordent naturellement dans l’âme d’un Grec. Tel grand propriétaire qui envoie ses offrandes à l’association de Paris pour l’encouragement des études grecques et au syllogos de Constantinople, académie hellénique qui a déjà fourni une carrière honorable, n’aura pas de repos qu’il n’ait décidé le pacha d’Andrinople à venir passer un jour à sa maison de campagne. Ce sera alors une fête splendide, pour laquelle il aura fait venir de Bel-