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vous outrage, ta femme et toi, est aussi notre ennemi. Prends donc l’esclave qui va faire vos provisions au marché et qui vous sert; mets-la à la torture, et tu apprendras tout. Celui qui agit ainsi, c’est Ératosthène du dème d’Œa; ta femme n’est pas la seule qu’il ait séduite; il en a corrompu beaucoup d’autres; il en fait métier. » Ayant ainsi parlé, ô juges, elle s’éloigna. Quant à moi, j’étais là, bouleversé, et tout me revenait à l’esprit, tout me remplissait de soupçons. Je me rappelais comment j’avais été enfermé dans ma chambre, je me souvenais comment cette nuit-là, ce qui n’était jamais encore arrivé, les deux portes, celle de la maison et celle de la cour, avaient battu; je songeais au fard que j’avais cru voir sur la figure de ma femme... Je rentre donc à la maison, j’ordonne à la servante de m’accompagner au marché, et je la fais entrer chez un de mes amis; là je lui annonce que j’avais appris tout ce qui se passait à la maison. «Tu peux, lui dis-je, choisir de deux choses l’une : ou bien tu seras battue de verges, mise au moulin pour le faire tourner, et tu passeras tout le reste de ta vie dans les plus grands maux, ou si tu veux m’avouer toute la vérité, il ne te sera fait aucun mal, et je te pardonnerai ta faute; mais, il ne faut pas mentir, ni me rien cacher de la vérité, » Elle niait d’abord et me disait de faire ce que je voudrais, qu’elle ne savait rien; mais quand j’eus nommé Ératosthène et dit que c’était lui qui fréquentait ma femme, elle perdit contenance en voyant que j’étais si bien informé. Alors elle se jette à mes genoux, et, lorsque je lui eus juré qu’elle ne serait point maltraitée, elle me raconte tout, comment cet homme, après l’enterrement, l’avait abordée, comment elle avait fini par se faire sa messagère, et comment ma femme, avec le temps, avait cédé, comment ils avaient ménagé leurs rendez-vous, comment aux Thesmophories, pendant que j’étais aux champs, elle avait été dans le temple avec la mère de son amant, enfin elle m’expose tout dans le dernier détail. Lorsqu’elle eut tout dit, « que personne au monde, lui répliquai-je, ne sache que tu as parlé; si tu dis un mot, je ne tiendrai rien de ce que je t’ai promis. Je veux-que tu me les fasses prendre sur le fait; ce ne sont pas des paroles qu’il me faut. Je veux, si la chose est ainsi, la voir de mes yeux. » Elle s’engage à m’en donner l’occasion.

« Après cela, trois ou quatre jours se passèrent, comme je vous en fournirai la preuve formelle. Je veux d’abord vous raconter ce qui se passa le dernier jour. J’étais intimement lié avec Sostratos. Je le rencontrai après le coucher du soleil qui revenait des champs, et, pensant que, si tard dans la soirée, il ne trouverait chez lui rien de prêt, je l’engageai à souper avec moi : il m’accompagna donc à la maison; nous montâmes dans la chambre d’en haut, et nous y prîmes notre repas. Quand il fut rassasié, il se leva, et partit; pour moi, je m’endormis. Alors, juges, arrive Ératosthène; la servante monte m’éveiller, et me prévient qu’il est en bas. Je lui dis de veiller sur la porte; je descends sans bruit, je sors, et je vais chez celui-ci, chez celui-là, chez d’autres