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trop près, elle est toujours menacée par les passions mêmes qui lui ont donné naissance; elle se sent à leur merci, sans autorité légitime pour les réprimer, sans logique pour leur répondre. Une société révolutionnaire doit être immanquablement renversée par la révolution, si elle ne manœuvre pas de façon à se rendre légitime à son tour, et elle ne peut se rendre légitime que par le bénéfice de la durée. S’il eût été dans l’essence de la révolution française de posséder quelque sagesse, son instinct lui aurait dit que la conservation devait être son unique souci, et le parti républicain n’aurait jamais existé en France.

Même à l’heure où nous sommes, il peut sembler paradoxal de dire que le moyen terme de juillet 1830 était la dernière planche de salut pour la révolution française, et cependant rien n’est plus vrai. C’était la dernière planche de salut, car l’établissement de juillet méritait à peine le nom de moyen terme, tant il confinait au radicalisme. Au fond, qu’avait fait la révolution en 1830? Elle avait rompu cet équilibre qui doit toujours exister entre les différentes parties d’une société, cet équilibre que la restauration avait merveilleusement représenté dans ses bons jours, et qu’elle seule était capable de maintenir. Elle avait porté la société tout entière sur un seul point d’elle-même, comme un conquérant qui transporterait tous les habitans d’un royaume dans une seule province. Elle avait éliminé tous les élémens qui n’étaient pas strictement siens, et s’était réduite à ses propres ressources. La substitution de la république à la monarchie ne changeait rien aux conditions essentielles qu’elle s’était créées en juillet 1830. Qu’était cette substitution en effet? Un changement dans le nom de la forme, non dans les choses. En passant de la restauration à la monarchie de juillet, la société française avait subi un changement considérable, aussi considérable qu’il y en ait dans l’histoire d’aucun peuple; mais en passant de la monarchie de juillet à la république elle se retrouvait dans la même situation que la veille; il n’y avait rien de changé en France, sinon qu’elle contenait quelques Français de moins. La monarchie constitutionnelle de 1830, n’ayant pouvoir et action que par les parties démocratiques de la société, n’était donc autre chose que la république avec un frêle garde-fou pour préserver contre l’abîme. Le mot de Lafayette montrant Louis-Philippe au peuple : « voilà la meilleure des républiques, » était mieux qu’un mot de politique désireux de dorer la pilule pour faire accepter ses projets; c’était un mot de philosophe qui constate le caractère vrai d’une situation. Substituer la république au gouvernement de Louis-Philippe, ce n’était rien faire absolument qu’une puérile simplification de forme. Le bon sens populaire ne s’y trompa point, et refusa de