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de sa ligne de conduite logique, et l’a remise à la protection du hasard.

Cependant la déviation la plus énorme fut dans la manière dont le mot démocratie devait être entendu en France. On sait comment le second empire sortit du suffrage universel inauguré par la république. Rien n’était plus logique, et je n’ai jamais bien pu comprendre l’opposition violente des républicains an gouvernement de Napoléon III. Il nous aurait semblé au contraire que la démocratie entendue à la façon impériale devait être le but de leurs désirs, car sans cela à quel propos renverser le gouvernement de Louis Philippe? Je ne connais en effet que deux manières d’entendre la démocratie : ou bien la démocratie est constituée par la direction perpétuellement changeante des classes moyennes, ou bien elle est constituée par le pouvoir d’un souverain qui pèse également sur tous. Il y a bien une troisième forme de démocratie, le pouvoir théocratique, la république telle qu’elle exista chez les Juifs de Moïse à Saül, telle qu’elle fut instituée par Calvin, méditée par Knox, appliquée par les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire l’homme libre sous la monarchie invisible de Dieu; mais par ce temps de Caussidière et de Sobrier ce n’était pas cette démocratie qui préoccupait les esprits, pas plus qu’elle ne les préoccupe par ces jours de Raoul Rigault et de Ferré. Il faut donc s’en tenir aux deux premières : or nous venons de voir que la monarchie de juillet était aussi près de la république que possible, si elle n’était pas la république même. Le peuple français conclut avec raison que, puisqu’on n’avait pas voulu du pouvoir de Louis-Philippe, on ne pouvait pas vouloir davantage de la république, les deux gouvernemens ayant exactement la même manière de comprendre la démocratie. Il fallait donc de toute nécessité avoir recours à la seconde interprétation, à celle qui fut autrefois inventée par le plus intelligent de tous les hommes, Jules César, et ressuscitée dix-huit siècles plus tard par un homme de race italienne qui en avait le secret dans le sang, et qui sut la fondre avec génie dans les traditions monarchiques de la France.

Je sais bien que le peuple en général, surtout le peuple socialiste, ne l’entendait ni de cette manière, ni de cette autre; mais c’est tant pis pour les docteurs qui se sont chargés de faire son éducation politique, et qui lui ont donné des idées si peu nettes des choses. Pauvre peuple! l’éducation politique qu’il reçoit ne vaut pas mieux la plupart du temps que l’éducation d’un chimiste qui serait faite de nos jours par un chercheur de la pierre philosophale, ou l’éducation d’un astronome par un partisan de l’astrologie. Qu’on lui enseigne que la société française est une société essentiellement démocratique, on lui enseignera un fait de toute évidence; mais