Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de la délivrance nationale. Ce n’était plus un provisoire ordinaire, c’était le gouvernement de la nécessité, trouvant dans les circonstances mêmes qui l’avaient produit sa légitimité, sa raison d’être et sa limite. On aurait pu agir ainsi, on ne l’a point fait ; l’essentiel aujourd’hui est de ne point laisser traîner ces discussions irritantes, de ne point prolonger le provisoire dans le provisoire, et surtout de se dépouiller de toute prévention pour donner à ce pouvoir transformé ou prorogé qui va s’établir la base libérale et conservatrice sur laquelle il doit s’appuyer, s’il veut gouverner utilement.

Qu’on la tranche donc au plus vite cette question de pouvoir, qui depuis quelque temps se traîne dans le demi-jour des combinaisons des partis, et qui, par la façon dont elle a fait explosion au dernier instant, a eu un peu l’air de venir jeter un défi à l’imprévu ; qu’on la tranche une bonne fois aussi bien qu’on le pourra, et qu’on revienne à ce travail patient et pratique qui reste après tout la vraie mission de l’assemblée et du gouvernement. Si cette crise qui vient d’éclater doit avoir pour conséquence de simplifier la situation, il n’y a rien à dire, tout sera pour le mieux ; assemblée et gouvernement n’auront plus qu’à reprendre leur œuvre interrompue, qui n’en sera pas plus facile, mais qui dans tous les cas sera débarrassée de ces incertitudes dont on se faisait un fantôme. Après comme avant la crise, il n’y a pas moins à réorganiser le pays, à recomposer l’équilibre de ses finances aussi bien que ses forces militaires, sa puissance morale aussi bien que sa fortune matérielle. C’est une reconstitution précédée d’une liquidation nécessaire, et cette liquidation, ce sont les commissions parlementaires qui la font par l’enquête qu’elles poursuivent sur les événemens de la dernière année. Autant qu’on en puisse juger par les premières révélations qu’on a laissées échapper, elle sera utile, instructive, cette enquête, conduite jusqu’ici avec une impartiale sévérité. Nous avons besoin de tout savoir sur les hommes et sur les choses ; nous avons besoin de voir clair dans cet effroyable gâchis de nos affaires au temps du siège, dans nos malheurs, dans ces opérations où ont été englouties des armées. Ce qui s’est passé à Metz, à Sedan, à Paris, sur la Loire, dans l’est, à Tours, à Bordeaux, c’est tout cela qui doit être exposé avec une énergique et inflexible sincérité, non certes pour alimenter une curiosité vulgaire, mais pour montrer au pays ce qu’il lui en coûte de se livrer à ceux qui le perdent par une coupable impéritie, et à ceux qui viennent le perdre un peu plus encore en prétendant le sauver. Déjà les documens se multiplient, surtout pour les affaires militaires, et le livre que vient de publier M. le général Chanzy, sur la deuxième armée de la Loire, est certes un des plus intéressans, un des plus précieux de ces documens.

On peut suivre maintenant la marche de cette campagne des armées de province, qui s’ouvrait avec un éclat modeste, quoique réel, à Coulmiers, pour finir si tristement dans l’est et sur la Mayenne. Ce n’est pas