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trouvé le moyen de se procurer une pièce de marbre de dimensions suffisantes. Il est vrai qu’on pourrait dire que la Vénus de Milo ne paraît pas appartenir à cette époque très ancienne où l’on ne se contentait en rien facilement, où l’on apportait au choix même des matériaux un soin tout religieux. Exécutée d’une manière large, sans recherche scrupuleuse du fini, elle est, selon toute vraisemblance, un de ces ouvrages que les artistes grecs, au temps où l’art était le plus fécond et le plus libre, entreprenaient sans beaucoup de précautions et de calculs préalables. Il se peut aussi que l’auteur de la Vénus de Milo, qui a laissé à l’état de simple ébauche les parties de cette statue qu’on ne pouvait presque pas voir, ait été plus indifférent que bien d’autres à une circonstance matérielle dont l’aspect de son œuvre ne devait aucunement se ressentir. Néanmoins on peut s’étonner qu’un artiste si éminent ait pris son parti d’une telle circonstance : ce point de vue est celui de la stabilité et de la solidité. En effet, les deux blocs placés l’un sur l’autre sans aucun lien, il pouvait arriver qu’un ébranlement du sol déplaçât le bloc supérieur, surtout dans un pays où le sol tremble souvent. Il fallait donc fixer ces blocs l’un à l’autre : c’est ce qu’on fit en les reliant intérieurement, non, comme l’a cru M. de Clarac, par un seul tenon, qui n’eût pas empêché un mouvement de rotation, mais par deux. Ces tenons n’existent plus, on voit encore parfaitement les places qu’ils occupaient. Ils étaient en fer et soudés avec du plomb ; il reste encore des traces de rouille et une partie de la soudure.

Avec la grande expérience qu’avaient les anciens en fait de statues, l’auteur de la Vénus de Milo ne pouvait ignorer l’inconvénient que présentent de tels tenons, et qui est de produire la rupture des marbres. Pour le décharger de ce reproche d’imprévoyance qu’il semble avoir encouru, ne peut-on pas supposer qu’il a fait sa Vénus d’un seul bloc, que la statue a été brisée par accident, et que le bloc inférieur a été endommagé au point de nécessiter une restauration ? Ce serait alors le restaurateur et non le créateur de la Vénus de Milo qui en aurait fixé la partie ancienne à la partie nouvelle par des tenons de métal. Une telle conjecture acquerrait de la probabilité, s’il était vrai, comme quelques-uns l’ont pensé, que la partie inférieure de la Vénus de Milo, quoique très belle, n’égalât pourtant pas tout à fait en beauté la partie supérieure, et n’eût pas été traitée avec un soin égal. Quoi qu’il en soit, si l’on fait de la statue l’examen circonstancié que permet en ce moment la chute du plâtre qui remplissait les joints, on voit clairement les suites qu’a eues l’insertion des tenons métalliques. Les tenons ont occasionné des ruptures, et à ces ruptures on a remédié