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L’idée de la victoire plane en quelque sorte sur toute la religion et sur tout l’art des Grecs, bien que cette idée se transforme d’époque en époque. Les dieux lumineux de l’Olympe sont devenus les maîtres du monde en triomphant de puissances ennemies nées des abîmes de la terre. Leurs temples sont décorés de sculptures et de peintures qui étalent aux yeux les victoires remportées sur les monstres, sur les centaures, sur les Amazones, sur les natures farouches et brutales, par les héros, représentans de la nature supérieure, qu’inspire et dirige la sage Pallas. Au Parthénon, la déesse vierge, qui personnifiait l’intelligence subjuguant la matière, tenait sur sa main droite étendue une Victoire ailée qui se tournait vers elle, lui offrant une couronne. La victoire couronnant l’esprit qui s’est assujetti la nature inférieure, c’est l’expressif symbole des grandes époques de la Grèce, c’est celui de la pensée dont elle vécut, et qui la fit ce qu’elle fut. Or, dans le triomphe de l’esprit sur la matière aveugle, le Grec vit tout d’abord celui d’une nature bonne et douce sur une nature encore acerbe et sauvage. A son dieu suprême, vainqueur des Titans et des géans, qui, d’un froncement de ses sourcils, faisait trembler le ciel et la terre, l’Hellade donnait un nom où entrait celui du miel. De plus en plus, à mesure qu’elle prit mieux conscience de son propre génie, la Grèce se peignit la Victoire sous les traits de la douceur, et lorsqu’elle eut achevé de dégager de ses élémens primitifs le type d’une déesse, inconnue à toutes les autres nations, de qui venait tout amour et toute paix, elle reconnut dans Vénus l’idéal où tendait son perpétuel rêve de victoire. Dans d’innombrables monumens de l’art grec représentant des scènes de bonheur dans une vie à venir, surtout sur les vases peints trouvés dans les tombes de la Campanie, et qui appartiennent à une époque tardive de l’art, à une époque aussi où la grâce tendait de plus en plus à l’emporter sur la force, on voit se mêler sous diverses formes et presque se confondre les Victoires, les Amours, les Vénus et la Persuasion. De ces faits on peut conclure que représenter Vénus apaisant Mars, l’amenant à déposer ses armes, c’était bien pour les Grecs représenter la suprême et dernière victoire, celle qu’obtient la persuasion sur la violence, victoire qui est, celle que l’âme remporte à tout moment sur le corps et la pensée sur la matière. Ces sortes de représentations, d’abord assez nombreuses chez les Grecs, devaient, après avoir atteint en quelque sorte leur idéal, devenir toujours plus rares. Mars calmé, radouci, n’est désormais plus Mars ; il tiendra dans la religion et dans l’art une place plus restreinte, tandis qu’à côté du culte de Vénus celui d’autres divinités compatissantes et rédemptrices ira sans cesse en grandissant.