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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/232

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encore sur le pays. On dirait que c’est là dans notre histoire une simple parenthèse après laquelle il n’y a plus qu’à reprendre le cours de nos folies ou de nos plaisirs. Pourvu qu’on parle de régénération et de revanche en parsemant tout cela d’un certain nombre de duretés sur le régime qui nous a valu de si cruels mécomptes, on pense avoir tout dit, on croit s’être acquitté suffisamment, comme si la régénération n’était pas le prix du temps, de la patience et de la sagesse, comme si on préparait la revanche par des déchaînemens de factions ou de turbulentes légèretés. Nous oublions trop vite, c’est notre malheur, nous oublions par esprit de parti ou par étourderie, ou enfin, s’il faut tout dire, parce que nous ne portons pas assez dans l’âme ce deuil sacré de la patrie qui laisse d’ineffaçables traces. Si on avait un peu plus de mémoire ou un peu plus de réflexion et de bon sens, est-ce qu’on songerait à célébrer des fêtes et à saisir les occasions de se mettre en gaîté comme on le fait depuis quelque temps sur certains points de la France ? Le moment est propice en vérité, le mois surtout est bien choisi, et ceux qui s’occupent à préparer des cérémonies ont l’incontestable vocation des réjouissances publiques ; ils ont le goût de s’amuser. L’autre jour, c’était la bonne ville de Mâcon qui se parait et se mettait en frais à l’occasion d’un tir. Il est vrai qu’il y avait à recevoir des délégués suisses qui venaient à ce tir, et puisqu’on recevait des Suisses, c’était bien le moins qu’on payât à leur pays la dette de la reconnaissance française pour l’hospitalité affectueuse qu’ils ont donnée à nos malheureux soldats, victimes de la guerre. Cette dette, nous ne songeons point à la diminuer ; mais enfin les Suisses, qui sont de bons patriotes, auraient parfaitement compris qu’on ne s’amusât point aujourd’hui en France, qu’il y eût moins de banquets et de toasts, sans compter que les discours qui ont coulé à flots avec les vins d’honneur n’ont pas été toujours du meilleur cru. Non, la Suisse n’aurait pas eu moins d’estime et de sympathie pour les autorités mâconnaises, si on s’était souvenu que ces réunions bruyantes allaient coïncider avec de tristes anniversaires, si on avait senti qu’une ville française ne pouvait se livrer à la joie au moment même où les habitans de Forbach et de Wissembourg allaient porter des couronnes de deuil sur la tombe de ceux qui mouraient, il y a un an, en combattant pour la France. Est-il rien au monde de plus pénible, de plus choquant que ce contraste du deuil de nos anciennes villes captives qui se souviennent des morts dans leur captivité, et de l’oubli de ceux qui trouvent le temps de s’amuser, fût-ce pour faire fête à des hôtes qui, dans d’autres circonstances, eussent été les bienvenus ?

Est-ce qu’on avait aussi des Suisses à recevoir à Lyon ? On les a bien reçus un peu au passage, et il y a bien eu quelques vins d’honneur ; mais ce n’était rien, la bonne ville de Lyon n’a pas de tir, et à défaut de tir elle n’a pas moins dû à la sollicitude attentive de sa municipalité d’avoir,