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présidait deux. Il arrivait une heure environ après l’ouverture de la séance, c’est-à-dire vers une heure et demie ; il interrompait la discussion, l’ordre du jour était déposé sur son bureau, il appelait l’affaire qu’il lui convenait de faire discuter. Il écoutait patiemment et attentivement ; il interrompait volontiers et souvent, particulièrement Regnault de Saint-Jean d’Angély, Defermon et Treilhard, mais principalement l’archichancelier. Quand la discussion avait duré quelque temps, il prenait la parole. Il parlait longtemps, sans beaucoup de suite dans les idées, très incorrectement, revenant sans cesse sur les mêmes tours de phrase, et, je dois l’avouer en toute humilité, je n’ai jamais remarqué dans son élocution décousue et souvent triviale ces qualités éminentes dont il a fait preuve dans les mémoires dictés par lui aux généraux Bertrand et Montholon. Ces mémoires restent pour moi une véritable énigme. S’il est un écrivain doué du talent qui s’y révèle, de cet ordre lumineux dans la distribution des idées, de cette clarté, de cette fermeté simple dans le langage, de ce ton d’autorité fin et naturel, de cette précision enfin, de cette correction dans l’habitude même du style, que cet écrivain-là se montre et se nomme. Si, comme il n’y a pas lieu d’en douter, Napoléon est le véritable auteur des mémoires qui portent son nom, s’il a été, comme ces mémoires en rendent, à mon avis, témoignage, l’un des maîtres de notre langue, le talent de parler, chez lui comme chez beaucoup d’autres d’ailleurs, n’égalait pas, tant s’en faut, celui d’écrire. Au reste, je suis convaincu qu’à l’époque dont je parle, parvenu au comble de la puissance, objet d’adoration et presque d’idolâtrie, il était loin de porter dans les affaires cette activité vigilante et puissante qui avait signalé les premiers temps de son règne. Les procès-verbaux de la discussion du code civil lui font plus d’honneur que les séances auxquelles j’ai assisté, et l’abjection servile de l’admiration qu’excitaient ses moindres paroles me rend peut-être injuste à son égard. »

Le duc de Broglie eut bientôt à s’étonner d’autre chose encore que de l’imperfection des paroles impériales. « Cette première époque de mon assistance au conseil d’état fut marquée, dit-il, par une séance mémorable. Le développement rapide qu’avait pris depuis quelque temps l’institution des petits séminaires avait inspiré quelque inquiétude à l’empereur. Il avait fait convoquer le conseil de l’université au conseil d’état. Tout annonçait de l’orage. L’empereur entra, comme à son ordinaire, vers une heure et demie. Voyant M. de Fontanes et les conseillers de l’université placés au même rang que les conseillers d’état, il en manifesta beaucoup d’humeur, et traita très brutalement M. de Ségur, conseiller d’état lui-même et grand-maître des cérémonies. Il fit évacuer par les maîtres des