Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le duc de Broglie avec son frère, M. René d’Argenson, se rendirent en Italie, où le mariage civil et religieux fut célébré le 15 février à Livourne, par le consul de France, et le 20 du même mois à Pise, où le service catholique fut fait par un prêtre que désigna le curé de la paroisse, et le service protestant par un ecclésiastique irlandais du culte anglican, nommé de Lacy. « Il donna à Mlle Albertine de Staël, dit le duc de Broglie dans ses Notes biographiques, une petite Bible anglaise que je conserve et conserverai, s’il plaît à Dieu, toute ma vie, comme l’inestimable relique de ce qui n’est plus ici-bas. Elle porte sur la première page : — Pise, 20 février, midi. Casa Roncioni. — Je n’ai pas, ajoute-t-il, le courage d’ajouter un mot à ce peu de mots tracés sur cette Bible par une autre main que la mienne. »

Je ne m’accorderais pas le mélancolique plaisir de retracer ces pieux souvenirs de deux personnes à qui j’ai porté tant d’amitié et de respect, si je n’étais convaincu qu’en tout temps, et surtout de notre temps, il est bon de mettre sous les yeux des hommes, non pas des rêves de perfections et de satisfactions romanesques, mais ces exemples de vertu et de bonheur rares qui fortifient les âmes en les charmant, et qui entretiennent les hautes espérances sans susciter des ambitions démesurées ou déréglées. Née dans l’ardent foyer de la vie et de la société de Mme de Staël, sa fille en avait gardé la flamme en l’unissant à la lumière céleste, et elle en était sortie comme un beau métal sort de la fournaise, aussi pur que brillant, et fait pour les plus saintes comme pour les plus éclatantes destinations. La beauté de sa figure était l’image de celle de son âme, noble et franche, digne avec abandon, fière sans dédain, expansive. et bonne jusqu’à la sympathie, pleine de grâce comme de liberté dans les mouvemens de sa personne comme de son esprit, rarement en repos, jamais en trouble intérieur : créature du premier rang dans l’ordre intellectuel comme dans l’ordre moral, et en qui le don de plaire était le moindre de ceux qu’elle avait reçus de Dieu. Le duc de Broglie avait raison de porter à sa femme une affection si profonde et mêlée d’un tel respect qu’aucune parole ne le satisfaisait pour parler d’elle. Je suis tenté d’éprouver le même sentiment.

On ne saurait parler du duc et de la duchesse de Broglie, et ne rien dire de Mme de Staël. La duchesse de Broglie aimait sa mère et la mémoire de sa mère avec cette passion que l’inviolabilité seule peut satisfaire. Le duc de Broglie, en admirant autant que personne Mme de Staël, gardait sur elle et avec elle son jugement libre et pénétrant avec respect : « Je n’ajouterai rien, dit-il, à tout ce que les hommes éminens qui l’ont connue ont pensé et dit de la puissance de son âme, de la générosité de son caractère, de l’élévation de ses sentimens, de l’étendue et de la finesse de son esprit, et de