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venger, disait-il, le désastre de Leipzig. Le duc de Broglie était resté complètement étranger aux événemens des cent jours, tantôt indigné, tantôt dégoûté du spectacle auquel il assistait. Le plus solennel des tragiques procès suscités par ces événemens, le procès du maréchal Ney, était sur le point de s’ouvrir ; la cour des pairs avait été convoquée et réunie le 21 novembre 1815. Né le 28 novembre 1785, le duc de Broglie n’avait pas encore voix délibérative ; mais, dans sa séance du 23 novembre et sur la demande du maréchal lui-même, la cour remit au 4 décembre l’ouverture des interrogatoires et des débats. « Je pouvais éviter, dit le duc de Broglie, de prendre part au jugement. J’en avais plus qu’un prétexte : il est de règle en justice qu’un juge ne doit pas siéger dans une affaire déjà commencée ; mais il me répugnait de m’abriter sous ce prétexte, et, sans en parler à personne, le 4 décembre je pris séance.

« Dès le premier jour, m’entretenant avec Lanjuinais, qui siégeait à côté de moi, il m’invita à venir le soir chez lui pour causer avec quelques collègues de l’état de l’affaire et de la conduite à tenir. J’acceptai avec empressement. La réunion ne fut pas nombreuse, car elle se réduisit au maître du logis, à M. Porcher de Richebourg et à moi, les autres, s’il y en avait eu d’autres, s’étant apparemment ravisés. Nous nous mîmes promptement d’accord sur le résultat définitif ; la condamnation étant certaine, nous convînmes de voter pour toute peine, inférieure à la peine capitale, qui aurait chance de réunir le plus grand nombre de voix ; la déportation, qu’il devenait facile de commuer promptement en simple exil, nous parut la plus appropriée à la personne et aux circonstances.

« Mais nous ne parvînmes pas à nous entendre sur le sens et le tour qu’il convenait de donner à notre vote, sur le choix et l’explication de nos motifs. Lanjuinais soutint qu’il fallait se retrancher derrière la capitulation de Paris, dont la cour n’avait pas permis la discussion aux défenseurs, mais ne pouvait interdire l’examen aux juges. Porcher insistait pour qu’on se bornât à faire valoir, en avouant le crime, la gloire du maréchal et les grands services qu’il avait rendus à l’état. Quant à moi, je pensais, je pense encore qu’un gouvernement, quand il est debout et tant qu’il est debout, a le droit d’appeler à sa défense les lois, la force publique, les tribunaux, l’échafaud même dans les cas extrêmes ; mais que, s’il succombe, c’est à l’histoire, à l’histoire seule qu’il appartient de prononcer entre les vaincus et les vainqueurs, de dire de quel côté étaient le bon droit, la justice, le véritable et légitime intérêt du pays, si les vainqueurs ont été des rebelles ou des libérateurs. Je pensais, je pense encore que, si le cours du temps ou le concours des événemens remet sur pied le gouvernement renversé, celui-ci n’a plus aucun droit de revenir sur le passé, et de rechercher ses