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un récent entretien, il avait pu démêler que l’idée d’un changement complet de cabinet n’était pas loin de la pensée royale ; le roi lui avait cité des exemples puisés dans l’histoire parlementaire d’Angleterre, et qui admettaient en principe qu’un ministère doit se retirer en masse quand il a perdu la majorité. Avant de prendre sa résolution définitive, le duc de Richelieu voulut voir M. le comte d’Artois. J’emprunte le récit de leur entrevue au plus impartial et au mieux informé des historiens de la restauration, M. de Vielcastel. « L’entretien, dit-il, fut assez long. Monsieur, tout en affectant de ne vouloir donner que des conseils, insista pour que M. de Richelieu, gardant seulement, de tous les ministres actuels, M. de Serre et M. Roy, s’arrangeât avec MM. de Villèle et Corbière. Le duc, après avoir fait sentir le peu de convenance qu’il y aurait de sa part à se séparer de presque tous ses collègues, traça rapidement le tableau des intrigues du côté droit contre le cabinet, et exprima la conviction qu’il dépendait de Monsieur d’y mettre fin ; mais le prince, visiblement embarrassé, ne voulut pas en convenir : il revint encore à son thème habituel, la nécessité de faire quelques concessions aux royalistes, et il ajouta que d’ailleurs il s’était imposé la règle de ne plus se mêler de rien. M. de Richelieu, s’animant peu à peu, répliqua qu’il parlait trop sérieusement pour accepter une telle réponse, et rappelant à Monsieur la promesse si formelle qu’il lui avait faite moins de deux ans auparavant, lors de la chute de M. Decazes, de le soutenir et de le faire soutenir par ses amis, promesse qui seule l’avait déterminé à rentrer dans les affaires : — C’est, dit-il, de cette parole de prince donnée à un gentilhomme que je réclame l’accomplissement. — Monsieur, ainsi pressé, s’écria d’un air dégagé : — Ah ! mon cher duc, vous avez pris aussi les syllabes par trop au pied de la lettre. Et puis les circonstances étaient alors si difficiles ! — M. de Richelieu, stupéfait et indigné, le regarda fixement, lui tourna le dos, et, sans prononcer un seul mot, sortit en poussant violemment la porte. Puis, courant chez M. Pasquier, son confident le plus intime pendant cette crise, il se laissa tomber dans un fauteuil en disant d’un ton douloureux : — Il manque à sa parole, à sa parole de gentilhomme ! »

Le 12 décembre 1821, le duc de Richelieu, de concert avec ses collègues, annonça au roi, qui l’accepta sans objection, leur retraite commune, et le 15 décembre le Moniteur annonça la formation du nouveau ministère ; M. de Villèle devint ministre des finances, M. Corbière de l’intérieur, M. de Peyronnet garde des sceaux, M. le vicomte Matthieu de Montmorency ministre des affaires étrangères, le maréchal duc deBellune ministre de la guerre, et M. le marquis de Clermont-Tonnerre ministre de la marine. Il