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droits de l’humanité et des engagemens pris par la France. J’avais étudié à fond la question ; j’avais lu soigneusement, la plume à la main, cette masse immense de documens que le gouvernement anglais faisait publier d’année en année au parlement ; quand je me crus bien maître de mon sujet, je résolus de ne pas différer davantage. Le 22 mars, je fis à la chambre des pairs la proposition d’une adresse au roi. Dans un discours qui dura plus de trois heures, le plus long peut-être qui jamais ait mis à l’épreuve l’attention de cette chambre, j’exposai l’état et le cours des choses ; je mis sous ses yeux le tableau fidèle des horreurs et des turpitudes que couvrait notre pavillon ; je lui fis toucher au doigt les périls auxquels cet effroyable désordre exposait le commerce honnête et la paix maritime. Tout fut dit, rien ne fut contesté ni ne pouvait l’être ; mon discours fut trouvé long, ennuyeux, interminable, et ce n’était pas sans raison peut-être. Personne ne vint à mon aide, et ma proposition fut écartée presque sans débat. Je ne me décourageai point, et cette affaire devint l’une des principales préoccupations de ma vie politique. »

Il avait alors une autre préoccupation, non pas plus grave, mais bien plus pressante. En 1821 et 1822, dès que le côté droit fut en possession du pouvoir, les complots pour le renversement de la restauration, assoupis, mais non étouffés depuis l’ordonnance du 5 septembre 1816, éclatèrent de toutes parts, à Belfort, à Toulon, à Nantes, à Colmar, à Saumur, à La Rochelle, quelques-uns mêlés d’odieuses manœuvres de la police, la plupart très spontanés et volontaires. « Je lus à Cauterets, dans le Moniteur, dit le duc de Broglie, qu’une grande conspiration militaire venait d’être découverte. Je ne doutai pas, vu l’état des esprits en France et des affaires en Europe, en Espagne, en Portugal, à Naples, qu’elle ne fût réelle. Je ne doutai pas davantage que les principaux chefs de l’extrême gauche ne fussent de la partie : ils s’étaient bien gardés de me prendre pour confident ; mais je les connaissais assez pour être sûr de mon fait. Dès lors force me fut bien de réfléchir sur le parti que j’aurais à prendre, engagé, comme je l’étais, dans la politique de mon pays, et sur la conduite que j’aurais à tenir, lié, comme je l’étais, avec les instigateurs probables de la conspiration.

« Je reconnus de prime abord qu’après tant de procès politiques conduits en 1815 et 1816 avec la dernière violence, et tragiquement terminés dans les flots de sang, la chambre des pairs était appelée à donner un grand exemple, à remettre en quelque sorte sur pied la justice politique, à rétablir dans leur plénitude le respect des formes, les droits de la défense, les égards dus au malheur, la modération, l’équité, le discernement dans l’administration des peines. Dans la position que je m’étais faite, étant peut-être le seul dans la