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vent qui soufflait de tous les points de la France était trop fort : Charles X dut se résigner à former un nouveau ministère ; mais il voulut un ministère composé tout entier d’hommes nouveaux, dont l’importance ne fût pas déjà établie et dont il ne connût pas déjà les exigences. Une ordonnance du 5 janvier 1828 appela aux sceaux le comte Portalis, aux affaires étrangères le comte de La Ferronays, au ministère de l’intérieur le vicomte de Martignac, à la guerre le vicomte de Caux, aux finances le comte Roy, au commerce le comte de Saint-Cricq. Un peu plus tard, M. Hyde de Neuville et l’abbé Feutrier, évêque de Beauvais, remplacèrent M. le comte de Chabrol à la marine et M. l’abbé Frayssinous, évêque d’Hermopolis, aux affaires ecclésiastiques ; l’instruction publique en fut détachée et remise à M. de Vatimesnil. Il n’y avait là aucun nom dont les souvenirs et l’amour-propre de Charles X fussent blessés, aucun dont il crût devoir redouter l’ascendant.

Le roi se trompait. Parmi ces nouveaux ministres, tous honorables, mais plusieurs incertains ou faibles, il y avait deux hommes d’un esprit et d’un caractère trop élevés pour ne pas avoir et ne pas suivre leur propre pensée sur la politique sage et utile au roi et au pays. J’ai trop peu connu personnellement M. de La Ferronays et M. de Martignac pour les caractériser moi-même avec précision ; mais j’emprunte à leur sujet avec confiance le jugement du duc de Broglie. « M. de La Ferronays, dit-il, était presque ce qu’avait été M. de Richelieu ; c’était un vrai gentilhomme et un vrai ministre ; libéral d’honneur et de cœur plus que de doctrine, il imposait également à la gauche et à la cour ; personne n’osait lui refuser sa confiance. Il n’était point d’ailleurs dépourvu de toute expérience des affaires ; il avait été pendant plusieurs années ambassadeur à Saint-Pétersbourg, et il s’y était fait honneur ; il avait soutenu l’indépendance et les intérêts de la France avec intelligence et dignité ; il avait même plus d’une fois, au sein des derniers congrès où la légation de Russie avait suivi l’empereur Alexandre, dépassé le bon côté de ses instructions et mérité le mécontentement de sa cour. Mais la perle, je me sers à dessein de ce mot, le joyau, le diamant du ministère et même de la chambre élective, c’était M. de Martignac, ministre de l’intérieur. Comment un tel homme, déjà parvenu à la maturité de l’âge, connu, depuis de longues années, comme l’un des ornemens du barreau de Bordeaux, de ce barreau qui avait donné les girondins à la convention, et à la restauration M. Laine et M. Ravez, comment, dis-je, un tel homme, membre depuis sept ou huit ans, de la chambre des députés, y était-il resté presque ignoré ? Comment y avait-il vieilli dans des emplois du second ordre ? Chaque fois qu’il avait eu à