Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des plaintes sérieuses et qui me paraissent fondées sur la manière inqualifiable dont quelques agens à l’étranger accueillent ceux de nos nationaux qui viennent leur demander aide ou conseil. Je demande qu’une enquête soit faite, et que des instructions soient adressées à qui de droit, afin de faire cesser au plus vite un pareil état de choses. » Le ministre se leva indigné de son banc, et, invoquant le témoignage du ministre de la marine, qui opina aussitôt du bonnet, il fit l’éloge, sans aucune exception, des fonctionnaires dont on se plaignait. Ce jour-là, je regrettai de ne pas me trouver en situation de répondre à un ministre, afin de pouvoir réfuter par de nombreux exemples ce que j’avais entendu dire avec autant de dignité que peu de justesse. Il faut que ce haut personnage ne se soit jamais trouvé dans la douloureuse nécessité de se présenter dans une lointaine agence consulaire, soit, comme moi, en qualité de naufragé, soit simplement à titre de Français désireux de suivre une carrière à l’étranger.

Quelque temps avant la guerre qui fit flotter jusqu’à Pékin les couleurs françaises, — on verra avec quel avantage pour nous, — il eût été possible, en restant simples spectateurs de la lutte qui devait avoir lieu entre les Chinois et les Anglais, d’obtenir la concession de Shang-haï comme prix de notre parfaite neutralité. J’étais en Chine à cette époque, et plusieurs marchands chinois d’une importance réelle me l’ont assuré ; mais cela ne faisait ni l’affaire des Anglais, ni celle des jésuites, pas plus que celle de leurs compétiteurs les lazaristes. Shang-haï ne suffisait pas à l’activité de ces deux derniers ordres, car, s’ils franchissaient certaines limites, la populace ameutée les chassait ou les lapidait. Il fallait que la Chine leur fût entièrement ouverte, afin de pouvoir fonder plusieurs nouveaux établissemens et assurer à jamais, par un triomphe de nos armes sur les armées chinoises, la prospérité des églises catholiques de Han-kow, Kion-kiang et Chin-kiang. M. de Bourboulon, alors notre agent à Shang-haï, sa jeune femme, personne intelligente et liée intimement depuis longues années avec l’impératrice Eugénie, ne purent ou ne voulurent pas résister aux intrigues des pères ; un ordre, qui probablement était dû à une très haute intervention, donna donc à notre marine et à nos troupes la mission d’aller attaquer les Chinois et de prêter notre concours aux Anglais. Armés d’engins perfectionnés, les alliés détruisirent à distance et partout où elle osa se montrer l’armée chinoise ; cette dernière en était encore, pour beaucoup de ses soldats, aux fusils à mèche, aux boucliers en bois couverts de figures fantastiques et aux flèches lancées avec des arcs d’une longueur démesurée. On devine si les braves furent vaincus, et leur général San-ko-lin-sin, qui jusqu’à